Jean Bauchau

Jean  Bauchau : un paysan par vocation.

 

Présentation de M. Jean Pierre Pellegrin (auteur de l’article).

Jean Pierre Pellegrin est originaire de la vallée du Buech. Il a bien connu M. Jean Bauchau, (décédé en 2003) qu’il avait  interviewé sur divers sujets – sa famille est toujours installée à St Julien en Beauchene. 

M. Pellegrin a  publié l’été dernier un livre intitulé « Résistants dans les pays du Buëch » (voir la présentation de ce livre en fin d’article). Avec deux professeurs d’histoire de Gap, il continue à recenser toute la documentation existante sur cette période dans le département et consulte  les archives, départementales, nationales et militaires,  désormais « ouvertes » mais peu ou pas exploitées.

Jean Bauchau, est né en Belgique en 1909, dans une famille  bourgeoise et dans un milieu urbain. Son frère Henry est devenu le grand écrivain que l’on sait.

Leur père est ingénieur. Jean a découvert la campagne, tout enfant, pendant la première guerre mondiale où il vit réfugié chez un grand père et son goût pour la vie à la campagne et pour le travail de la terre ne le quittera jamais.  Sa famille l’incite à poursuivre des études supérieures de lettres, de philosophie et de droit. Mais il s’y ennuie et abandonne ses études. Son rêve de devenir paysan, ne cesse de le poursuivre.

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 Henry Bauchau, son frère.

Mais comment devient-on paysan quand on n’a aucun lien avec la terre et avec ce milieu professionnel ? Il réalisera son projet par le biais de ses engagements chrétiens. Il participe au mouvement des communautés chrétiennes initié par les philosophes et théologiens  Raïssa et Jacques Maritain, – qu’il rencontre à plusieurs reprises En 1934, il rejoint l’une de ces communautés qui, en Beauce, près d’Etampes, exploite la ferme du Rotoir, de 30 hectares de friches et 30 hectares de bois, achetée par Eugène Primard, un militant catholique, fondateur de la Société de Saint Louis. Il y vivra plusieurs années. C’est là qu’il apprendra son métier de paysan et qu’il rencontrera sa future épouse. Il y fera aussi la connaissance du gapençais Marcel Arnaud – le futur fondateur de la communauté d’Agnielles et le grand résistant mort en déportation – qui séjourna dans cette communauté. Lors de la déclaration de guerre, ses collègues français sont mobilisés et le couple se retrouve seul dans la ferme, dans l’attente de la propre mobilisation de Jean. La feuille de route ne lui parviendra jamais où mettra plus de temps à venir de Belgique…que l’armée allemande.

 

En 1941, le groupe tentera de se reconstituer, mais dans l’été 1942 un incendie malveillant détruisit leur récolte et ils décidèrent de se séparer et pour la plupart, de partir en zone libre. Marcel Arnaud lui propose alors de venir s’installer à Agnelles et il l’accueille pendant l’hiver 42-43 à son hôtel du Relais.. Mais la signature du bail avec les Eaux et Forêts tarde. Jean Bauchau cherche une ferme à louer et en trouve une aux Bégües, hameau de La Beaume. A la Begue, où s’est installé un centre de la Restauration paysanne, une organisation d’aide au retour à la terre et de remise en culture de terres en friches pour répondre aux besoins du ravitaillement. Dirigé par l’Orciérois Jules Gueydan, ces centres embauchent des hommes réfugiés, alsaciens lorrains et juifs, puis réfractaires au STO et cadres militaires qui veulent reprendre le combat. J. Gueydan et Jean Bauchau accueillent un groupe de jeunes officiers, anciens élèves de l’école de Saint Cyr, repliée sur Aix, échappés en novembre 43 du maquis de Champollion après l’attaque allemande.

 

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  Pour lire l’article sur l’attaque des allemands sur ce groupe de Résistants cliquez ICI  

Ils s’installent aux Bégües en vue d’encadrer et d’entrainer les jeunes provisoirement embauchés par des chantiers forestiers, notamment celui installé au hameau de Thuoux (Aspremont) que le Commandant Mauduit veut transformer en maquis. Dénoncé, ce centre sera l’objet d’une attaque allemande, suivie de l’arrestation de 17 personnes et sera dispersé. Jean Bauchau, approvisionnera et aidera le maquis AS du secteur D (Aspres-Montmaur) dirigé par son ami Yvon Truc de Montbrand et par le Ct Céard.

 

En 1948, une vielle dame de la Haute Beaume, leur louera sa ferme et pendant 18 ans, le couple Bauchau travaillera les terres et élève des ovins, tandis que la famille s’agrandit et …que la vielle dame en devient la mémé. La méfiance des habitants, « de rudes paysans des temps anciens dit-il pour les qualifier », sera persistance, mais par sa détermination et son travail acharné et aussi –selon lui – grâce à la présence des enfants, la famille s’intégrera bien dans ce milieu paysan assez fermé.

Après le décès de la vielle dame qui les avait accueilli et qui faisait partie de la famille, la fille de celle ci les congédiera. En 1964 la famille achètera une ferme au hameau de Montama à St Julien en Beauchene. Jean Bauchau en sera maire de longues années et deux de ses fils et leur famille, y sont installés comme agriculteurs.

 

Jean Bauchau fut moins un agriculteur qu’un éleveur. Il avait une passion pour les chevaux et l’élevage des moutons. Il rencontra Pierre Mélet, l’assistant berger et écrivain, ami de Jean Giono, installé à Antonaves, qui, au sein de la Société d’Economie Alpestre reconstituée en 1947, –- jouera un rôle déterminant dans la modernisation de l’élevage ovin d’après guerre. Il « m’aida beaucoup et je l’admirais » dit de lui Jean Bauchau. A sa demande, il accueillera des élèves de la célèbre Ecole de bergers de Rambouillet, d’où était issu Pierre Mélet. Jean Bauchau  tentera avec plusieurs d’entre eux de créer des coopératives d’élevage, mais elles échoueront, car dit-il, « souvent, après quelques temps, ces jeunes repartaient. Ils avaient un niveau d’études élevé et à l’époque, on faisait aux diplômés, des offres professionnelles bien plus rémunératrices que l’élevage ovin; d’ailleurs beaucoup ont réussi brillamment ».

 

Contrairement à Paul Tissot, et aux autres «  retours à la terre » de cette période, Jean Bauchau s’intéresse peu à la mécanisation de l’agriculture, « je ne le suivais pas beaucoup sur ce sujet, »  dit-il, bien qu’il reconnaisse « le formidable progrès que fut le tracteur », dont l’arrivée désolait cet ami des chevaux. Sa vraie vocation restera l’élevage. Enfant, dans sa  Belgique natale occupée, il avait rêvé d’être berger. « Je l’ai été jusqu’à 86 ans. Quel bonheur ! Ma vie est allée au delà de mon rêve » dit-il. Ce projet est inséparable d’une vie, choisie, faite de joies et d’épreuves, partagées avec une épouse et des enfants dont il parle avec beaucoup d’émotion et de fierté et l’on comprend que pour lui cette « réussite familiale » était pour lui bien plus importante que le succès professionnel.

 

Pourtant, ce vieux paysan qui s’exprime avec un esprit fin et rigoureux et avec une élocution assurée et riche de l’intellectuel qu’il est resté, laisse percer, au seuil de sa vie, une amertume et une inquiétude face à l’avenir du monde agricole.  « Aujourd’hui les paysans sont méprisés,… quatre de mes enfants sont dans l’agriculture, mais aucun de mes nombreux petits enfants ».

 

Source. Jean Pierre Pellegrin  Rencontres 11/2000.

         

L’auteur de cet article a écrit : 

 

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