VEILLÉES CHAMPSAURINES EN LANGUE INTERCALAIRE

Article écrit par Robert Faure (historien du Champsaur) réactualisé le 28 avril 2016

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VEILLÉES CHAMPSAURINES EN LANGUE INTERCALAIRE

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(Article également paru dans « L’Almanach des Hautes Alpes-an 2016 » – Éditions Arthéma)

Une langue intercalaire a bien existé dans les Hautes Alpes dont les vieux-vieux se souviennent encore. Cette langue , si particulière, après deux ou trois lustres, va bientôt totalement disparaître.

Le champsaurisme, c’est ma langue maternelle ( ni langue d’oc, ni provençal alpin, ni pur français).

Le champsaurisme, ce sont les premiers mots bizarres que j’ai entendus à Prégentil dans la grande ferme, quand, le soir, à la bougie ou sous la lampe à manchon, on était tous réunis autour de mon père (qui « en savait de loin » puisqu’il était né en 1877), de ma mère, de mes trois frères, de mes trois soeurs, de la « parenté », des « drolles » des hameaux d’alentour…et que les bruyantes et joyeuses veillées (dans les années 1935, 1936, 1937…) allaient bon train.
Moi, le petit dernier, à 5 ans, 6 ans, 7 ans, j’en avais plein les oreilles et je n’en ratais pas une miette. Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont émerveillé avec les premiers mots entendus.… Le temps a passé. J’ai du, dans mon métier, renier tous ces mots.

Et ces mots, pourtant, je les ai redécouverts avec grand plaisir à l’heure de ma retraite.
Aussi, écoutez les! Écoutez ce que disent les anciens, les « vieux-vieux », les « reires-grants » et vous entendrez, sous leur accent chantant, tous ces « mots-dits », un riche vocabulaire, des expressions oubliées et colorées, des termes imagés, de savoureux et jolis mots venus d’une langue lointaine et revivifiés, qui s’implantent naturellement, qui « gisclent » au milieu des conversations, des mots qui font peut-être sourire, mais qui rendent heureux.
Écoutezaussi ces tournures bizarres où l’on abuse d’être et avoir, le rythme de ces phrases grandiloquentes où sont maniés avec dextérité les passés antérieurs, où l’on n’hésite pas à à inverser avec brio les auxiliaires.

Et, attention aux faux amis, à ces mots qui ont un autre sens en français :
La caille n’est pas un petit oiseau, c’est la femelle du porc.
Gouverner ne veut pas dire diriger, non, gouverner c’est s’occuper des bêtes.
Les femmes vont acheter une pointe (pour se mettre sur la tête ) à la mercerie et non à la quincaillerie.
La dépense n’est pas la dilapidation de son argent, non, la dépense, c’est la pièce qui sert de cuisine.
Aller camper, ce n’est pas partir avec les scouts, non, aller camper c’est mener les vaches au pâturage: les bardelles, les jailles, les bouchardes…

Que de richesses dans le langage champsaurin… pour l’ironie surtout!
A Paris, quand quelqu’un n’est pas normal, on dit: « Il n’est pas normal celui là! ».
Ici, on ne disait pas seulement: « il n’est pas normal! » , mais ça fusait les épithètes dans les veillées. Tel ou tel était « barulot », « bayanèou », « bécassou », « brancassi », « broque », …ou bien « jarjarin », « tèbi », « toti », « testori » …ou alors : « estrasse », « vergogne », « cague-en- brailles » , « gounflaïre », « porte-lagne », , « vire-tomes », « troun de l’air », « tête de miaule »…etc…

Les veillées servaient aussi aux jeunes champsaurins à préparer secrètement d’autres fabuleuses gamberges : la rave, le vin-chaud et le barri.

Quand une fille du village prenait un mari « estranger » (qui ne faisait pas partie de la communauté) les jeunes du village tendaient à la sortie de l’église une barrière ( en fait un ruban tenu à chaque extrémité qui barrait la route) .(On avait fait ça au mariage de Camille Galleron, la fille du sacristain, près du monument aux morts de Pont du Fossé) .
Nous faisions ainsi comprendre au nouveau marié, selon la tradition, que, s’il ne voulait pas subir notre réprobation, il devait « payer la rave », c’est à dire nous donner une somme d’argent Les « dzouves » pouvaient alors faire un banquet bien arrosé suivi d’une joyeuse veillée de grandes parlottes.
Et si les invités voulaient, le soir, après les veillées, poursuivre la fête, ils préparaient pour les « novis » une soupe bizarre : vin blanc poivré, des rondins de chocolat grossièrement sculptés, des feuilles de papier à cigarettes nappées de crème de marrons, le tout présenté dans un beau vase de nuit…
La chasse nocturne à la chambre nuptiale était toute une aventure. Si les « novis » étaient surpris dans leur lit, ils n’avaient rien de mieux à faire que d’accepter de boire ce « vin chaud », à la couleur douteuse, et au goût inhabituel, et de rire avec les autres. Même le maire de Saint Jean Saint Nicolas, Marcel Papet, n’y a pas échappé.
Bizarre, bizarre…mais fallait bien qu’on se distraie! On n’avait ni facebook ni télévision!

Quant aux soupirants énamourés et en attente, ils pouvaient bien, après veillées et fêtes, aller chanter la nuit la sérénade, sous les fenêtres de la désirée.
Les Orsatus réunis lors des veillées, allaient ensuite chanter sous les fenêtres le « renveillé » : « Renveillez vous, belle endormie, venez parler à votre amant, il vous dira son sentiment…Mettez la tête à la fenêtre. Toute la nuit je pense à vous. Toute la nuit mon coeur s’éveille…»
On savait, à l’époque, être romantique!

Pourtant les femmes à Orcières avaient une vie sans beaucoup de rêves…  et ça jacassait sur les paysans d’alentour dans les veillées:
On racontait qu’elles se crevaient la paillasse à bugadier dans les barquiers, à nourrir le coche et la caille, à laver dans la pile, à faire la fenaison, à fourmouger, à tourner le ventaïre, à escouber les pous de la remise, à remander les frusques, à filer au rouet, à s’occuper de l’hort, à faire des gosses, la mangeaille puis aller ramasser les vaches, cailler le lait , baratter le beurre, assurer les traites…

Mais pour la rigolade il y avait aussi la construction du « barri ».
Fin juin, en pleine nuit de la Saint Jean, après la veillée, on venait récupérer dans le village et dans les fermes tout ce qui traînait, tout ce qui semblait abandonné et on amoncelaient, la nuit, en barrière, au milieu de la voie publique tout ce butin hétéroclite pour faire un immense « barri ».Et, que de ricanements le lendemain matin quand chacun tentait de récupérer , dans l’entrelacement de ce « barri », tout ce qui lui avait été kidnappé .

Barri, novis, cargues, rave … et tous ces autres vieux mots font partie de cette langue intercalaire.

Les anciens peuvent confirmer qu’ils ont souvent entendu leurs pères, leurs mères et leurs grands parents ne parler entre eux que le provençal originel. Mais, pour s’adresser à leurs enfants qui, eux, étaient plongés dans un environnement totalement français – le patois était puni à l’école et les maîtres tiraient les oreilles des « bayanèous » qui « estropiaient » la langue officielle – ces mêmes parents ont du essayer , avec une attention touchante, de s’exprimer en français…ou, dans la difficulté, de franciser leur patois.

En sortant ces mots de l’oubli, en les prononçant, en les reparlant, on retrouve les émotions, l’environnement, les moments d’intimité, les sons, la vision, l’affection d’une époque pas très lointaine, intercalaire, (celle du passage du patois au français)…qui risque d’être très vite oubliée.

Aujourd’hui, les jeunes Champsaurins, font presque tous des grandes études… loin de leur vallée.
Ils sont fiers, heureux et savants.
Ils parlent l’anglais, l’allemand, le chinois, le japonais… mais qu’un « brisou » de champsaurisme quand ça leur escape.

FIN

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Tous ces gens se retrouvaient le soir à Prégentil pour une veillée bruyante et joyeuse. Parmi eux, Robert Faure, 5 ans, le plus jeune sur la photo).

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1 comment

  1. admin

    Commentaire de Marie-José Coiffait :
    J’ai à peu près tout regardé ce qui concerne le Champsaur. Je trouve l’ensemble très, très intéressant. C’est une mine!
    J’ai aimé, en particulier la philosophie du Champsaur, pleine de bon sens, de simplicité, parfois d’originalité. C’était le socle commun et les gens en avaient certainement besoin pour se rassurer et pour juger.
    Mais j’ai encore plus aimé le vocabulaire, la richesse des mots, leur immense variété. Quel dommage que la République n’ait pas entretenu cette précieuse particularité, ce précieux terreau! La terre et la montagne vont avec la langue. Je connais assez bien le Cantal, en particulier la Margeride et c’est pareil! Perdue cette langue (plus qu’un patois) chez les jeunes générations.
    L’interview de Jean Paul Clot est très émouvante. On sent que ce qu’il raconte est profondément juste. On ne lui a certainement pas toujours fait de cadeau, mais lui, en tant qu’homme, en est sorti grandi.
    …J’ai beaucoup, beaucoup appris sur une région pratiquement ignorée. Merci encore.

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