PIERRE POUTRAIN

PIERRE POUTRAIN RESISTANT.

 

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Pierre Poutrain 

Ce fut tout simplement un homme extraordinaire. Il a marqué toute une région.  Lorsqu’on parle de Résistance dans les Hautes Alpes, le nom de Pierre Poutrain est incontournable. Il fut un Résistant hors norme, par ses qualités humaines, ses qualités de cœur, et ses qualités de meneur d’hommes.

 

1939. Il débute la guerre dans l’armée.

Le 2 septembre 1939, il est sergent, il intègre la compagnie du Génie près d’Arras (dans le Nord). Il est vite remarqué dans son groupe, pour sa bonté, sa droiture, sa serviabilité. Près d’Arras, il  a pour mission de construire des tranchées, poser des mines, faire du terrassement. Un jour, en plein combat près de Guerting (Moselle), ses hommes découvrent que cet homme serviable est aussi capable d’être héroïque. En effet, un de ses hommes vient d’être blessé, sans hésiter, Pierre le charge sur son dos et le porte sur un long parcours…..au péril de sa vie ».

Deuxième étape en décembre 39: il part, dans l’Est de la France pour faire le même genre de travaux de défense. Il ne se contente pas de diriger ses soldats  mais participe très activement lui-même à tout ce qui se fait. Son travail est minutieux, bien fait.

Troisième étape : le 5 janvier 1940 il repart avec sa compagnie dans le Pas de Calais à Montreuil puis à Hubersent. Il construit des blockhaus.

Quatrième étape : au mois de mai 1940, la Belgique est envahie. Sa compagnie remonte en territoire Belge. Mais devant le rouleau compresseur allemand, toute l’armée française recule, dans le désordre. Pierre descend jusqu’à Valencienne. Les soldats de Pierre, pressés, débordés, n’ont plus aucun repos. Ils minent les Pont, construisent des ponts ou passerelle. Duchambo écrit « son capitaine saute un jour sur une mine. Pierre prend sa place et couvre personnellement la retraite de ses camarades restant le dernier pour réduire le pont.» Complètement disséminée, sa compagnie rejoint à pied Dunkerque (où les bombardements sont terribles) puis embarque pour l’Angleterre où il arrive le 1er juin.

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Déplacements de Pierre Poutrain en début de guerre. Les étapes sont indiquées par un numéro.

Cinquième étape : sa compagnie retourne en France le 6 juin et accoste à Brest. Sa compagnie reprend le combat en se dirigeant vers Lisieux. Mais le groupe est décimé est le 16 juin la compagnie est dissoute.

Un témoignage : « le dimanche 16 juin notre compagnie est dissoute après des adieux émouvants à notre sympathique sergent Pierre Poutrain, si estimé dans sa section par tous ses hommes et tous ses chefs. Et ce soir là après avoir passé tous les moments, bons et mauvais passés ensemble, nous quittons notre sergent si dévoué…..»

Sixième étape : versé dans une autre unité  il se bat sur la Somme où il est fait prisonnier. Comprenant que les trains partent vers l’Allemagne il arrive à s’échapper……

Evasion et clandestinité ………

 

1941. Pierre Poutrain décide de continuer le combat.

Libre de ses obligations militaires et en accord avec sa femme (qui travaille comme opticienne à Saint Omer)  Pierre décide en janvier 1941 de continuer le combat en rejoignant l’Afrique du Nord. Avant de partir il veut rendre visite à son frère prêtre (Louis Poutrain) qui se trouve à Saint-Jean-Saint-Nicolas dans les Hautes Alpes. Ce frère est Résistant lui aussi.  D’ailleurs il héberge au presbytère jusqu’à  30 jeunes clandestins (alsaciens ne voulant pas intégrer l’armée allemande, STO, Résistants en fuite…..). Son action est si audacieuse qu’elle est connue dans toute la région. Il sera dénoncé par un jeune collabo  dénommé Grasset (jamais retrouvé après la guerre) et le Père Louis sera arrêté, déporté dans un camp de concentration où il vivra des moments extrêmement difficiles. En 1944, il est entre la vie et la mort et n’aura la vie sauve que par l’aide d’un co-détenu qui lui donnera à manger et à boire avec une petite cuillère. Lorsque le camp est libéré, allongé sur une charrette, totalement immobile, on le prendra un moment pour mort.

Le Père Louis Poutrain  témoigne de cette terrible expérience dans un livre intitulé « La déportation au cœur d’une vie ». Mais nous y reviendrons…..je vais trop vite.

Donc Pierre Poutrain (le jeune frère)  arrive dans les Alpes pour rendre visite à son frère Louis (le futur déporté). Son idée est de lui rendre visite avant son grand départ pour reprendre le combat. Rien ne va se passer comme prévu.

 

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Pierre et Louis Poutrain se retrouvent dans cette église (village de Saint Jean) au dessus de Pont du Fossé.

 VISITE  DE  LEUR  PERE DANS LES ALPES

Pierre et Louis Poutrain se sont donc retrouvés à Saint jean Saint Nicolas (au dessus du village de Pont du Fossé) et s’occupent tous les deux (tout au moins pour l’instant, pensent-ils) du lycée professionnel ouvert en 1941 par Louis.  Leur père voyant l’aubaine  en janvier 1941 de les voir tous les deux après tant de dramatiques évènements, traverse la France occupée et les rejoint. Il connaît la détermination de Pierre pour continuer le combat mais il n’approuve pas son désir de rejoindre l’Afrique du Nord. Il lui conseille au contraire de servir la France en restant dans le Champsaur et d’entrer dans la Résistance.

 

Pierre, après réflexion,  entre donc dans la Résistance.

C’est décidé Pierre reste donc dans le Champsaur auprès de son frère. Il va l’aider au lycée professionnel où se trouvent cachés une trentaine de jeunes Résistants sous de fausse identité (fournie par l’administration française). Officiellement il est enseignant dans le cadre du Lycée.

 

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 Lycée professionnel Pierre et Louis Poutrain.

Toutefois, il préfère par prudence, résider dans la vallée de Champoléon où plusieurs camps de Résistant  ont été établis : les Tourronds, les Garnauds, les Meollions, les Borels, ….Il sera responsable du camp des Garnauds.

Il  est introduit bien-sûr dans la Résistance par son frère Louis.  Très vite, Pierre  y est non seulement adopté mais très apprécié.  N’a-t-il pas déjà passé deux ans dans le « génie »  où on lui a appris à construire des abris, choisir des lieux stratégiques, faire sauter des ponts… ?  Il a également vécu des batailles très dures dans le Nord de la France et mené des hommes aux combats. Il est arrivé dans le Champsaur avec  le grade de Lieutenant. Au début, la population paysanne de la vallée se méfit beaucoup (surtout en ces temps de guerre) de ce nouveau venu, grand, blond, qui n’est pas du coin. Mais là aussi, sa gentillesse qui n’a d’égale que sa serviabilité, va lui permettre de conquérir tous les cœurs.

Anecdote : en 1941, circulant dans la vallée pour le ravitaillement, il traverse un village où des hommes sont en train de redresser une toiture. De nombreuses personnes sont là à regarder ce travail délicat et assez technique. Pierre ne connaît personne mais donne quelques avis judicieux et finit  par monter tout à fait en haut du bâtiment pour mener à bon terme ce travail difficile. C’est ainsi qu’il se fait connaître et apprécier des uns et des autres.

 

Il devient un des piliers de la Résistance à Champoléon. 

 

vallée de Champoléon

La fameuse vallée de Champoléon composée de nombreux petits hameaux. Les maquisards étaient cachés sur les hauteurs : les trois camps principaux étaient « Les Meollions »(sur la droite), « les Tourronds »(sur la gauche), « Les Garnauds » (juste à notre gauche dans les bois).

On lui donnera  très vite la responsabilité d’organiser les camps et d’en assurer l’approvisionnement, ce qui n’était pas très simple en temps de guerre. C’est aussi de cette façon qu’il sera très connu dans le secteur où il ira chercher chez les uns et les autres la nourriture nécessaire …… Bien que largement capable d’être instructeur militaire auprès des jeunes (Pierre a  34 ans à cette époque), il accepte bien volontiers cette simple mission d’organisateur. Ce poste l’amènera à circuler sur les routes du Champsaur et dans la montagne. Ses trajets se comptent par centaines de kilomètres (à pieds) ! On le disait infatigable tant il était capable de marcher longuement.   Malheureusement, trois ans plus tard, en 1944,  il se fera arrêter bêtement par les allemands en plein sommeil alors qu’il venait de marcher longuement toute la nuit (50 km environ et 400 km  les 10 jours précédents). En arrivant ce jour là à Saint Disdier (dans le Dévoluy), au petit matin du 23 mai 1944, cet homme infatigable aurait été incapable de faire 100m de plus. Au lieu de dormir dans la forêt un peu plus haut comme on le lui conseillait, il s’assoupira dans une petite ferme, totalement épuisé: ce fut une erreur fatale…..et vraiment trop bête après tant de précautions prises pendant des années. Mais je vais trop vite …….nous y reviendrons.

 

Une précision chronologique sur la mise en place de la Résistance.

De 1939 à 1941 : La Résistance dans le Champsaur aura du mal à se mettre en place.  Plusieurs réseaux s’organisent avec beaucoup de difficultés, indépendants les uns des autres, malheureusement à partir d’affinités géographiques, politiques, humaines.

En 1942 et 1943, ce sont les Italiens qui occupent la région du Champsaur. Avec eux, les choses se passent bien, ils ferment les yeux sur beaucoup de choses. D’ailleurs à la fin de la guerre certains reviendront en France pour aider la Résistance à chasser les allemands !

Malgré tout, pendant cette période, la Résistance se renforce pour plusieurs raisons

1/ Les Français découvrent les exactions des SS et la barbarie de leurs actes ……

2/  Hitler attaque le 10 juin 1941 l’URSS malgré un pacte de « non agression ». Jusque là les communistes français étaient réservés. Ils se décident donc à entrer massivement dans la résistance en créant leur propre réseau. On sait à quel point ils prirent une part importante dans la libération de Paris ……au point de faire peur à De Gaulle.

3/ Le débarquement des alliés en Afrique du Nord le 11 novembre 1942, pousse les allemands par prudence à dissoudre l’armée française d’armistice. Ils envahissent le sud de la France qui était en zone libre. Conclusion, les casernes se vident et rejoignent le maquis.

4/ Enfin l’institution le 20 février 1943 du « Service du Travail obligatoire » pour les hommes de 20 à 23 ans. Beaucoup refuseront le STO et rejoindront la résistance intérieure.

 

En septembre 1943, les allemands arrivent dans la région (qui jusque là elle était occupée par les italiens) en septembre 1943. La Résistance se durcit, s’organise, s’arme.

Champoléon va donc être au centre de cette résistance dans le Champsaur.

 

Présentation de la personnalité exceptionnelle de Pierre Poutrain.

Le colonel Daviron dira de Pierre Poutrain  qu’il rayonnait par son exemple et qu’il pouvait de ce fait demander beaucoup à ses hommes. Et il rajoutais volontiers que la Résistance dans la vallée de Champoléon avait pris un tel essor grâce à lui.

Duchambo est peut-être encore plus précis en disant « Pierre Poutrain avec ses amis Radius et Rouxel donnèrent aux jeunes dont ils s’occupaient une conception très élevée de l’honneur, du travail, du patriotisme……mais qu’on aille pas imaginer que ce fut en conséquence des camps sévères ou tristes. Il existait une vraie joie….. ».

Son frère Louis Poutrain témoignera en ces termes après son retour de déportation : « Le soir, alors que tout le monde était fatigué de la journée, il prenait son sac à dos et allait chercher à pied à plusieurs kilomètres ce dont  le groupe avait besoin pour manger. Très chargé il revenait au milieu de la nuit. Et malgré cela c’était lui qui réveillait tout le monde au petit matin alors qu’il avait très peu dormi. » Et de rajouter : « Cet homme volontairement pauvre était un homme de prière ….. Il n’était jamais seul. Constamment en conversation avec Dieu : il puisait là le rayonnement de douceur  et de bonté qui émanait de sa personne  et aussi la candeur de son regard. Il y puisait cette constance dans le service d’autrui  qui le rendait toujours disponible……. Chez ce frère plein de délicatesse, l’annonce de mon arrestation (1943) a fait un choc. Elle provoqua une blessure infiniment douloureuse. Je fus au coeur de ses pensées« . Beau témoignage.

Dans un autre témoignage de Duchambo : «Alors que Pierre était d’un milieu aisé, il n’avait nul soucis d’élégance et se contentait des habits qu’il trouvait… ». Et un peu plus loin :  « En effet cet officier élégant, appartenant à une famille aisée du Nord, vivait à peu près comme un gueux. On l’a vu portant des pantalons rapiécés, trop courts de jambes. Jamais il ne demandait rien. On devinait seulement qu’il était sans argent….. »

Ou encore : « Son abnégation, son désintéressement reconnu, en imposaient  à tous. On l’écoutait, on l’aimait, on recherchait son amitié, on était fier de le recevoir. Assez longtemps, il avait refusé ce que les paysans lui offraient pour sa subsistance personnelle ; il prétendait qu’il n’avait pas faim. Une fois ou l’autre, il cède à l’invitation et les hôtes affectueux s’aperçoivent que ce grand garçon, sans argent et sans chaussures, toujours sur les chemins pour rendre service, a terriblement faim….du coup, il ne peut plus s’arracher des maisons où il passe.  Les paysans qui l’aimaient, lui avaient ouvert, sans réticence leur porte et leur cœur »

Un mot sur son épouse de Richard Duchambo : « Marié,(ils n’avaient pas d’enfants) il avait mis, entre son épouse et lui, mille kilomètres et plus. En des lettres pleines de délicate tendresse et d’élévation morale, il l’amenait peu à peu à partager son idéal. La jeune femme, qui avait perdu son père dans la Grande Guerre, trouvait parfois que les sacrifices demandés étaient bien grands. La France allait-elle donc lui prendre son époux, après lui avoir pris ses parents ? »

Il y a des pages et des pages de témoignages sur Pierre plus beaux les uns que les autres. Une tête de chapitre du livre de Duchambo est même intitulé : « La vie errante de Jésus-Christ ! ». Il y a plus fort encore : lorsqu’en 1943, après la rafle de Prégentil, Pierre est obligé de s’enfuir en Savoie, le groupe qui l’accueille (et qui ne connaît absolument pas son histoire…)ne peut s’empêcher de dire qu’il ressemble à Jésus (étonnant quand même !!) et entre eux utilisent  le terme affectueux de « Notre ami Jésus. »

De la serviabilité, de la gentillesse mais aussi du courage à revendre. Il a choisi d’être Résistant en sachant que c’était bien-sûr au péril de sa vie. Mais  je ne peux m’empêcher de vous raconter une histoire plus ancienne qui se déroule en début de guerre (1939), en plein combat acharné contre les allemands :  «…… Le 22 mai 39, ses hommes construisent une passerelle sur la Scarpe, car ils sont obligés de reculer, puis construisent un peu loin une 2eme passerelle……..C’est alors que son capitaine saute sur une mine. Pierre prend sa place et couvre personnellement la retraite de ses camarades, restant le dernier pour détruire le pont. Pas le temps de manger, il tient toute la journée à jeun, jusqu’à ce qu’une syncope le terrasse….. ».

Cet homme exceptionnel, galvanisera toute la Résistance de la Région. Il sera trahi en mai 1944, torturé à la villa Mayoli (Gap) où il  ne dira pas un mot, et mourra en périphérie de Gap d’une balle dans la tête. Lorsqu’il va avec ses six autres compagnons vers le lieu de son exécution, une femme au bord du chemin le regarde effarée. Il dit avec douceur ces dernières paroles :  « Priez pour nous, c’est la fin ». Cet homme est si exceptionnel que je me suis demandé si cette dernière parole n’avait pas été dite uniquement pour rentrer en contact avec cette femme et humaniser cette triste situation.

 

Le quotidien d’un grand Résistant de 1942 à 1943.

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 Le groupe des Garnauds dont Pierre Poutrain était responsable ( il est debout, 2eme en partant de la gauche : le plus grand). On remarquera un couple sur la droite (les Demontis ?)

 

  Les camps de base étaient joyeux, pleins d’amitié :

Le père Louis Poutrain, en les voyant s’entendre si bien, prêts à rendre service à tout moment et parfois au péril de leur vie, disait d’eux dans son livre, « La déportation au coeur d’une vie »,  :« Quelle belle jeunesse….. « .

Richard Duchambo va dans le même sens : « Ses compagnons de Résistance étaient pour la plupart des héros qui n’hésitaient pas à risquer leur vie. Mais, les coups durs une fois passés, ils se reposaient en savourant les plaisirs de la vie ….. »

Parmi  eux ils y avaient beaucoup d’anciens scouts, et les veillées étaient magnifiques, avec un grand feu, des chants, des histoires…..et tous riaient bien volontiers…. »

 

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Dessin réalisé à partir d’une photo faite en novembre 1943…….Elle a été prise quelques jours avant l’attaque violente des allemands le 13 novembre 1943. Prévenus par la gendarmerie,  les maquisards purent cacher le matériel et s’échapper quelques heures avant  leur arrivée.

 

 Les jeunes étaient instruits sur le plan militaire,

 

 Je cite le livre deLéon Specklin (22 ans à l’époque)   » A Champoléon, il y avait deux camps de maquisards : un aux Tourronds et un autre aux Méoullions ( le groupe de Prégentil se joignait souvent à eux )…. Un matin nous nous sommes retrouvés dans le bois au dessus du pont de Corbières, nous présentions les armes au Colonel Descours, un des commandants du Vercors.  Le soir nous avons transporté des armes cachées dans une grotte et nous les avons déposées avec l’aide des 2 maquis dans une cachette non loin des Borels. Un autre soir nous eûmes aux Garnauds  la visite du père du sous-Lieutenant Vollaire, un ancien colonel de réserve……Il nous disait son espoir d’une victoire prochaine, et nous rappelait que nous aurions une carte importante à jouer ....les responsables militaires savaient qu’ils pouvaient compter sans réserve sur les jeunes résistants de la vallée ….« 

Malheureusement ils ne recevront du matériel et des armes qu’en avril 1944 par parachutage sur les haut plateaux de St Jean et près de Chorges.

 

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Les jeunes sont instruits par deux Saint Cyriens,  Jean Bernard Rouxel   et Paul Marie Radius, deux hommes exceptionnels.

JB Rouxel est mort en déportation à Wilhemshaffen à l’âge de 23 ans le 16 mars 1945. Quelques heures avant sa mort il affirmait  » je vais mourir  mais ma fierté est de ne pas avoir parlé sous la torture »

Paul Marie Radius fut arrêté le 20 Juin 1944, le lendemain de la mort tragique de Pierre Poutrain et fusillé le 10 juillet 1944. La famille de Paul Marie Radius (par l’intermédiaire de son beau-frère M. Ducatez) m’a communiqué son journal de guerre, et de nombreux documents d’époque. Je les en remercie vivement.

 

  • Les rythmes de vie dans ces camps.

Dans plusieurs documents que j’ai entre les mains, les auteurs, à ma grande surprise, insistent pour dire que le rythme dans les camps de Champoléon était très soutenu, qu’ils avaient vocation à former des soldats et non des « planqués ». Effectivement, en d’autres régions, certains jeunes voulaient seulement éviter d’aller travailler en Allemagne, d’intégrer l’armée allemande (pour les alsaciens), ou encore d’échapper à la justice ……Ils se cachaient donc dans la montagne, sans autre but. Ces jeunes vivaient alors de la générosité des gens du lieu ou de rapines mais n’avaient aucun but militaire.

A Champoléon, rien de cela, ce sont des camps de jeunes résistants, qui demandent à reprendre les armes et à être formés.

Un autre point m’a surpris, c’est la grande pratique religieuse. La prière était quotidienne, la messe fréquente.

Voici donc le planning d’une journée habituelle :

Lever tôt le matin, prière, lever du drapeau, entraînement militaire, sport. Chacun  à son tour s’occupait du repas de midi et des différentes corvées. L’après-midi entrainement militaire ou selon sa mission (ravitaillement, réparation, message à transmettre à d’autres camps, ….) tous étaient très occupés. Prière le soir, et ces fameuses veillées qui ont laissé des souvenirs inoubliables.

 

Mais reprenons le cours des choses avec Pierre Poutrain.

Dans les nombreux écrits que j’ai sous les yeux, je retrouve trois types de déplacements :

1/ Le ravitaillement des camps. Pierre a accepté, comme je le disais plus haut, cette lourde charge. Il va beaucoup circuler dans la vallée, se faire connaître, se faire apprécier. M. Ducatez (90 ans aujourd’hui et qui m’a communiqué ses notes personnelles inédites) se souvient : » Il fallait un homme tel que Pierre pour aller implorer les paysans sans se laisser rebuter, gagner leur confiance et revenir avec des provisions extraordinaires ». En plusieurs passages il est signalé qu’il revenait très tard dans la nuit et chargé comme une mule…..Et M. Ducatez de rajouter « En échange de leurs produits, il essayait de leur communiquer sa flamme. Il leur insufflait son patriotisme, sa foi. Son abnégation, son désintéressement reconnu en imposaient à tous……on l’aimait, et on était fier de le recevoir à sa table ! ».

Le grenier de la vallée se trouvait aux Borels, et c’était le Père Robin (le curé de la paroisse) aidé de Jacques Lévy (surnommé Lauzier) qui s’occupaient de tout cacher et de distribuer aux trois camps.

Je reviendrai sur cette haute figure de la Résitance qu’a été  sur Jacques Lauzier car je l’ai bien connu ensuite à Toulon (propriétaire des cafés Maurice).

 

Carte Résistance Champsaur

Cette carte est d’époque. Elle nous montre sur environ 30 km la vallée du Champsaur. J’y est rajouté les annotations concernant les différents camps de Résistants. En violet, à côté des Méollions le Hameau des Borels qui centralisait beaucoup de choses. En bleu, la route que Pierre a si souvent empruntée. C’est en allant vers le Dévoluy par le col du Noyer (sur la gauche) en pleine nuit qu’au petit matin du 23 mai 1944, Pierre épuisé, s’est fait arrêté par la gestapo. Cet homme circulait tellement, que personne ne savait vraiment où il était (il ne le disait pas par mesure de prudence).

2 / Il va régulièrement voir son frère Louis à la cure du hameau de Saint Jean ( à 5 km environ). Officiellement, pour les allemands,  Pierre s’occupe du Lycée professionnel créé en 1941. Il y enseignera, et ses élèves se souviendront de lui comme d’un homme bon mais assez exigeant. A côté du Lycée, dans la cure du Père Louis, une trentaine de jeunes gens en fuite sont hébergés et Pierre s’en occupe (faux papiers,  ravitaillement….).

Finalement, Pierre Poutrain qui est responsable du camp des Garnauds dans la vallée de Champoléon, sera souvent assimilés dans les esprits au groupe de son frère Louis, le groupe de prégentil (ou cure Saint Jean). Cela explique la phrase qui se trouve un peu plus haut :  » A Champoléon, il y avait deux camps de maquisards : un aux Tourronds et un autre aux Méoullions ( le groupe de Prégentil se joignait souvent à eux ).. ». En réalité il y avait trois groupes, en comptant celui des Garnauds.

.Groupe--resistants-Pregentil.jpgLe Groupe de Résistants de Prégentil ( photo extraite du livre du Père  Louis Poutrain : »la déportation au coeur d’une vie » ). Ces jeunes Alsaciens  étaient cachés par  Louis Poutrain. Ils refusaient tous d’intégrer l’armée allemande. De gauche à droite : Emile Arnaud , René Baumann, Pierre Poutrain, Léon Specklin, Armand Hengy, Henri Parmentier (tué au combat à Laye le 17/07/1944).

 

3 / Des déplacement très nombreux en lien avec la Résistance. 

Je cite à nouveau les notes  personnelles de M. Ducatez : » A partir du printemps 1943, il ne peut supposer qu’un jeune homme de vingt ans puisse penser à autre chose qu’à résister. Fidèle à sa ligne de conduite….., il va dans les maisons où il y a des jeunes gens et leur procure les faux papiers nécessaires. C’est le cas à Chabottes, au Pont du Fossé, à Orcières, à Champoléon……. »  et de rajouter « Pour se faire, il est en relation avec les secrétaire de mairie de la région (l’information est de taille) va les trouver le soir où dans la nuit, et leur demande un concours qui ne lui a jamais été refusé. Il est aussi en relation journalière avec le chef de la gendarmerie, l’adjudant Joinville, qui l’a beaucoup aidé….. »(belle information ).

Il rend un service analogue à une colonie juive d’une trentaine de personnes. A eux tous, il procure état civil, carte de ravitaillement…..Pour certains il prépare l’acheminement sur d’autres retraites plus sûres. Dans un moment critique, il cache chez son frère Louis, à la cure de Saint jean, quelques jeunes juives…. Aux Borels (dans la vallée de Champoléon) il aide un médecin juif à travailler…..Inversement, la Résistance recevra de la part de la famille de Jacques Lévy (surnommé Jacques Lauzier dans la Résistance) de l’argent pour concrétiser de nombreux projets. J’y reviendrai dans l’article sur les camps.

Pierre Poutrain était donc sur les chemins du Champsaur, infatiguable marcheur pour sauver des vies, pour aider, organiser, toujours son chapelet autour du cou ou dans sa main pour le réciter……(retenez cette information, elle aura  son importance lors des derniers jours de sa vie).

Le colonel Daviron dira souvent que Pierre avait beaucoup fait pour la Résistance et que  « tous l’aimaient, lui avaient ouvert, sans réticence leur porte et leur coeur ». Sans lui, la Résistance dans les Alpes n’aurait pas eu cette envergure.

 

Le 13 novembre 1943 : attaque violente des allemands contre la Résistance.

Cette attaque a été dramatique dans le hameau de Saint-Jean : tous les jeunes qui vivaient à la cure ont été arrêtés, déportés ou envoyés en allemagne dans le cadre des STO.  Le Père Louis Poutrain sera également déporté.

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Résistance à Prégentil 1943

Le Père Louis Poutrain sur la droite quelques jours avant son arrestation et sa déportation à Fussenburg. Sur la gauche le Père Joseph, capucin missionnaire.  Cette photo exceptionnelle m’a été transmise par M. Robert Faure, historien du Champsaur.

La région du Champsaur a été très marquée par cette rafle.  La population prît alors réellement conscience du prix à payer par ceux qui s’opposaient aux nazis. Pierre Poutrain (le frère du Père Louis) échappa de justesse à cette rafle. Je résumerai donc fortement les évènements pour ne pas trop alourdir l’article qui le concerne.

Résumé des évènements :

Les allemands arrivent dans les Hautes-Alpes en septembre 1943 et prennent la place des italiens.  Avec leur arrivée tout se durcit. La Gestapo fait son travail et apprend très vite que la vallée de Champoléon est au centre de la Résistance. Ils décident de l’attaquer et de l’anéantir.

C’est ainsi que le 13 décembre 1943, 800 soldats sont déployés dans la vallée. Les uns (400 environ) cernent le hameau de Saint-Jean pour arrêter le Père Louis Poutrain et ses  30 jeunes hébergés. Ils cernent également le manoir de Prégentil qui se trouve plus bas dans la vallée. Au total, une quarantaine de personnes seront arrêtés dont certaines mourront en déportation. La surprise fut telle qu’il n’y eut aucune résistance.  Les allemands tiraient à tort et à travers au point que le Père Poutrain (à son retour de déportation) qualifiera ces tirs de mortier et de mitraillettes de « totalement inutiles et ridicules ».

 

400 autres soldats rentrent dans la vallée de Champoléon pour attaquer les camps d’entrainement. Les maquisards eurent beaucoup de chance. Tout d’abord, ceux qui étaient en montagne furent avertis par la gendarmerie quelques heures plus tôt. Ils quittèrent donc rapidement les lieux (en cachant tout le matériel) pour se réfugier encore plus haut dans la montagne. Au camp des Méollions, un maquisard en partant marqua sur la porte d’une ferme « Vous arrivez trop tard…… ».  Là aussi les allemands tirèrent à tort et à travers. Mais il n’y avait plus personne et ils en furent très dépités. Pierre Poutrain (le frère du prêtre) leur avait échappé. Chose surprenante, Pierre était reponsable du camp des Garnauds et ce camp ne fut jamais découvert par les allemands.

 

Les Borels

Le village des Borels dans la vallée de Champoléon.

 

Les maquisards des Borels eurent également de la chance car ils furent prévenus par téléphone environ 5 mn avant l’arrivée des allemands. En effet un habitant, intrigué par le ronflement prolongé de moteurs, constata l’entrée du convoi et prévint tout le monde. La distance jusqu’aux Borels est de 5 km environ. Voilà le temps qui était imparti aux maquisards pour fuir. Seul, le prêtre des Borels qui servait d’intendant à la Résistance (le Père Robin) n’eut pas le temps de s’échapper car il prît du temps pour cacher les papiers et le matérie. Toutefois, à ma connaissance il ne fut pas incarcéré, tout simplement parce que les allemands ne trouvèrent rien de compromettant. Et pourtant les armes étaient dans le presbytère sous leurs pieds.

 

Voici l’histoire de cet épisode incroyable :  Les armes étaient donc cachées sous le plancher. A un moment une planche craqua et se cassa sous le poids des soldats. Le père effrayé leurs demanda (très très poliment) de marcher sur le côté car le plancher était très fragile. Les allemands se poussèrent sans réaliser que le trésor qu’ils cherchaient était justement sous les planches !  Oouuf !

Par ailleurs, trois lits étaient défaits dans la pièce et probablement encore chauds. Les allemands demandèrent des explications. Le Père Robin très embarassé, affirma qu’il lui fallait un lit toujours frais et qu’il passait de l’un à l’autre pour arriver à dormir quelque peu……

Le père Robin participa à la libération de Gap et vous n’avez certainement pas loupé un peu plus haut le témoignage du colonel Sassi sur ce prêtre haut en couleur !!

 

Le retour des allemands vers Gap :   après cette virée dans le Champsaur et la prise d’une quarantaine de  maquisards, les allemands chantaient la victoire sur le chemin du retour vers Gap, riaient et se réjouissaient. Mais dès le lendemain, ils comprirent que Pierre Poutrain leur avait échappé et qu’aucun maquisard de Champoléon n’était pris. Ils en furent très dépités.

 

A partir de ce moment, Pierre Poutrain fut recherché partout. Il était donc dans l’obligation de quitter la région. Pierre fut très affecté par l’arrestation de son frère Louis et de ses 30 jeunes. Il savait  que ce frère bien aimé passerait par la fameuse villa Mayoli (torture), puis qu’il serait déporté. Ce fut donc un grand soucis pour lui. On peut le dire dès à présent, le Père Louis ne parlera pas devant la Gestapo mais il sera effectivement déporté à Fussenburg où il vivra l’horreur et le dénuement absolu. Au moment de la libération du camp, il sera aux portes de la mort, totalement immobile, inconscient. Les soldats le prendront pour mort.

 

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  Pierre et Louis Poutrain. Tous disaient qu’ils se ressemblaient beaucoup .

 

Par prudence, Pierre Poutrain est envoyé en Savoie par sa hiérarchie.

Après ce  13 novembre, pendant quelques heures, les compagnons du camp des Garnauds,  totalement anéantis,  ne savaient pas où était passé Pierre. Avait-il été arrêté en même temps que son frère Louis à Saint Nicolas ?  Un document signale: « Quand ils apprirent la vérité, leur visage s’éclaira…….tout n’était pas perdu puisque Pierre restait avec eux ».

Pendant quelques jours avec ses hommes, Pierre reste dans la montagne pour mettre en sécurité le matériel, sauver le ravitaillement, éloigner les hommes de la zone de danger…. En effet les allemands vont avoir beaucoup de renseignements par les jeunes qu’ils ont arrêtés. Il faut donc faire vite.  Il reçoit une nouvelle identité : Gustave Léauthier et part pour la Savoie où il rejoint « le groupe de Montlaur que dirige un autre grand chrétien, comme lui, un ancien prisonnier, comme lui, le capitaine Mauduit ». Dans l’attente de rejoindre ce groupe, il va demander asile à ses cousins de Savoie, M. et Mme Duquesne, à Notre Dame de Briançon.

 

Il reste environ trois semaines en Savoie.

 

C’est au cours du réveillon de Noël  qu’il fait la connaissance avec celui qui deviendra son inséparable compagnon de Résistance, Maurice Théniers d’Angers (groupe du capitaine  Mauduit). Une grande amitié vient de naître.

Le capitaine Mauduit responsable de la région, discerne en Pierre un homme exceptionnel et apprend par d’autres, tout ce qu’il a fait dans les Hautes-Alpes. Il le fait nommer responsable du maquis de Clausonne. Un document signale: » là, comme auprès des jeunes du Champsaur, il s’impose vite par son dévouement, sa bonté, comme aussi cette force exceptionnelle qu’il met au service de ses jeunes camarades« .

 

Mais les allemands, à nouveau, suspecte un camp de Résistants à Clausonne et Mauduit par prudence transferre tous les jeunes dans la vallée du Grand Buêch. Finalement, coup de tonnerre, le capitaine Mauduit est arrêté. De sa prison il arrive à faire passer un mot : »Que Gustave Léauthier (Pierre Poutrain) se méfie….. » laissant entendre que les allemands l’ont déjà repéré.

Après l’arrestation de Mauduit, beaucoup de jeunes quitteront la Résistance. Pierre Poutrain en ait affecté. Dix d’entre eux seulement resteront avec lui !!  Ordre est donné à tous de repartir dans le Chamspaur avec Gustave Léauthier ( Pierre Poutrain) .

 

Et là, les  documents racontent un épisode héroïque concernant Pierre Poutrain. Les 10 jeunes doivent quitter la région. Impossible de passer par l’itinéraire normal (Veynes et Montmaur), c’est trop dangereux, les allemands sont partout.  Ils doivent passer par la montagne et franchir le col de la tête des Ormans. Pas de ski, la neige est épaisse et pour augmenter leurs peines la tempête se lève. Il n’y a pas le moindre refuge, épuisés, aveuglés par les tourbillons de neige, certains s’effondrent de fatigue, n’ayant plus le courage de se relever. « Pierre Poutrain, dans le calme, sans mots inutiles, prenait les lourds sacs thyroliens de ses camarades, et, chargé comme un mulet, marchait en tête de la colonne. »

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Tempête neige

 Arrivés de l’autre côté (au Forest d’Agnières), totalement épuisé, le groupe prend un peu de repos lorsque Pierre Poutrain leur dit qu’il doit refaire le chemin en sens inverse pour aller chercher les ordres de sa hiérarchie. Tous lui disent que c’est pure folie. Mais il repart dans l’autre sens et finalement reviendra en faisant au total le trajet trois fois. Il avait la réputation d’avoir une force herculéenne et d’être inépuisable…..il le prouvait par cet acte de total dévouement.

Lorsqu’il quitte la Savoie, cela faisait 15 jours qu’il n’avait pas enlevé ses chaussures. Lorsqu’il le fît, il avait, aux dires de témoins, les pieds en sang.

 

Il rejoint finalement  le Dévoluy début 1944.

Il a échappé deux fois aux allemands. La 3eme fois lui sera fatale………..

Finalement Pierre, à revenir dans les Hautes Alpes,  choisit d’aller dans le Dévoluy (au dessus du col du Noyer: vallée parallèle au Champsaur) car son ami Maurice Thénier y réside. Tous deux se retrouvent à la Combe de l’eau où Defrène avait établi son PC. Ils travailleront désormais ensemble.

La Providence permet à Pierre, avant de faire ce don total de lui-même, de passer trois jours en prière à Notre Dame de La Salette avec son ami. Ils choisissent une devise  « Toujours plus haut ». Voici ce que dit le document de M. Ducatez : »Une devise est ordinairement l’expression imagée d’un programme à remplir. Il nous semble plutôt voir en celle-ci le résumé d’une vie, d’une longue ascension spirituelle. Un présage aussi. Il reste une dernière colline à gravir, elle a un nom : le Calvaire. Quelques semaines l’en sépare encore. »

 

Notre-Dame-de-la-Salette.jpg

  Notre Dame de La Salette. Préparation de Pierre Poutrain au grand sacrifice. Il va rester en prière pendant 3 jours en ce lieux exceptionnel. Sur cette photo, le Dévoluy se trouve juste en face, dans les montagnes du fond.

 

La maison occupée par le groupe des maquisards à la « Combe d’Eau » ( à Saint Disdier) se voit de très loin et peut être donc repérée. Thénier et Pierre Poutrain décident de construire une grande cabane, plus haut dans la forêt,  qui ne présentera aucun risque vis à vis de la Gestapo. La maison de la « Combe d’Eau », plus bas,  ne servira qu’au courrier, et à de très brefs séjours pour les uns ou les autres. C’est pourtant dans cette maison que Pierre se fera bêtement arrêter par la Gestapo …….

Pierre pour l’instant reprend sa vie errante de Résistant, avec d’incessants allers-retours à pieds entre le Dévoluy et le Champsaur. Il circule souvent la nuit avec Maurice Thenier. Ils assurent des liaisons, s’occupent du ravitaillement, des faux papiers……..

Vers le 15 mai 1944, il va dans le Haut-Champsaur (pour la dernière fois) et fait près de 400 km à pieds en 10 jours. Maurice Thénier lui apprend qu’il doit être le 23 mai au plus tard dans le Dévoluy. Pierre part de Champoléon le 22 mai au soir, traverse le Champsaur (!) pour une grande part et à Saint Bonnet prend la route du col du Noyer, passe de nuit le col, puis continue dans le Dévoluy jusqu’à la maison des maquisards à la Combe d’Eau. Il arrive le 23 mai au matin totalement épuisé. Son ami Maurice Thénier lui demande de faire encore un petit effort  et de monter jusqu’à leur cabane pour se mettre en sécurité. M. Ducatez raconte la suite : » Tu te reposeras là-haut » – « Maurice, laisses-moi me reposer d’abord ici, je suis tellement las. Dis bien des choses aux camarades que tu vas voir, puis, de rajouter….toujours plus haut « . Toujours plus haut devait être sa dernière parole. Il sera arrêter quelques heures plus tard, dans la matinée dans cette maison en plein sommeil !

 

Arrestation par la Gestapo. Son entrée dans le calvaire.

 Maurice Thénier lui prépare un feu (malheureusement la fumée va confirmer une présence)  et Pierre s’endort profondément. ………au même moment plusieurs voitures  de la Gestapo se dirigent vers la « Combe d’Eau ».

 

39-45 RESISTANCE

Les voitures s’arrêtent bien avant la maison. Onze soldats en sortent avec l’intention de passer par la forêt, encercler la maison silencieusement et surprendre l’occupant. Les voitures continuent leur chemin. Un paysan, Auguste Abrard,  voit passer ces voitures vides et ne s’inquiète pas outre mesure.  Alors qu’il continue son champ, quelle n’est pas sa stupeur lorsque regardant distraitement la ferme il se rend compte qu’elle est encerclée de soldats !

Les soldats entrent précipitamment et ……..ressortent de la ferme 30 secondes plus tard avec Pierre Poutrain menotté. Vallet « le trop fameux collaborateur boiteux à la canne de fer »  jubile. Les papiers indiquent Gustave Léauthier. Vallet lit les papiers, dévisage Pierre Poutrain, relit les papiers, dévisage. Puis brutalement s’exclame « Tiens, mais c’est Poutrain ».

 

La maison est fouillée de fond en comble. Les provisions sont récupérées par les allemands, les vêtements récupérés…….

Je cite M. Ducatez tant le récit est frappant. Cet épisode a été rapporté par Auguste Ebrard présent sur les lieux : « Vallet s’approche de Pierre Poutrain toujours gardé par un soldat. « Où sont tes deux camarades ? – Je n’en sais rien. Je rentre de voyage ». « Où sont tes armes ? » Cette fois Pierre garde le silence. Alors Vallet se met en colère et plusieurs fois, en pleine poitrine, frappe son prisonnier avec sa lourde canne de fer. De nouvelles questions n’ont pas plus de succès. Pierre Poutrain reste muet. Déchaîné, Vallet arrache une latte à une caisse dans laquelle restent des clous ; et de toute ses forces il frappe sur l’homme qu’il oblige à se courber. L’un des coups atteint une oreille qui en est presque décollée……….Mais Vallet se lasse. Il est vaincu par le silence héroïque de l’officier …… »  

 

Les allemands mettent le feu à la ferme, ce qui d’ailleurs va alerter les autres maquisards. Ils libèrent Auguste Abrard, et reparte avec Pierre Poutrain en direction de Gap. Ce retour vers Gap est très pénible pour Pierre. Les civils de la  Gestapo se font servir d’autorité un repas à l’hôtel du Moulin (ce qui fut reproché après la guerre au patron de l’hôtel. Mais comme le dit M. Ducatez que faire d’autre dans ce cas ?). Ils sont très joyeux et volubiles. Pierre Poutrain reste dans la voiture et ne mange pas : un soldat lui jetera 2 ou 3  biscuits vers 16h.

 

La prison à Gap.

Très tard dans la nuit, Pierre Poutrain est jeté, mains enchaînées, dans la cellule N° 4 où se trouve enfermé depuis 3 ou 4 jours M. Lusset, mécanicien du dépôt de Veynes. Il gardera les menottes pendant 80 heures. C’est Charles Lusset qui s’occupera de lui, lui fera un peu de toilette, lui donnera à manger. Selon le témoignage de Charles, Pierre Poutrain dormira sans arrêt : il est épuisé. Au début, les deux hommes se parlent très peu, chacun se méfiant de l’autre : puis des liens se noueront, une réelle amitié naîtra.

 

Prison--Pierre-Poutrain.jpg

 

La torture.

Afin de ne pas déformer ce qui s’est réellement passé, je reprends complètement le témoignage de M. Lusset son compagnon de cellule : » Un beau jour, on est venu le chercher. On lui a remis les menottes………et il a pris le chemin de la villa Mayoli. Dans son malheur, il a eu encore un peu de chance, si l’on peut dire, car la « Traction Avant » est tombée en panne, pendant qu’elle gagnait la villa. Ensuite, il y eut une alerte au moment de l’interrogatoire, ce qui abrégeat d’autant le supplice. Du grenier, on le descendit d’urgence à la cave pour, l’alerte passée, le réintégrer en prison. Néanmoins, les brutes avaient eu le temps de l’arranger, et quand on le revit, c’était une loque qui resta inerte, prostré au moins deux ou trois heures; sourd à tous mes appels, à toutes mes bonnes paroles. J’en avais le coeur gros et serré devant tant de barbarie. Enfin, il remua et me raconta son interrogatoire et son supplice. Les menottes qu’on lui avaient laissées, il les garda environ un jour ou deux. Et, comme elles étaient très serrées, ce fut une souffrance continue ».

 

dscn-12358.JPGLes tortures de la Gestapo. Dessin trouvé sur le Site internet  « l’histoire en question ».

 

Et M. Ducatez rajoute à ce témoignage effrayant : « Pendant l’interrogatoire, Vallet s’aperçoit que Pierre avait un chapelet autour du cou. Il s’écrit  : »qu’est-ce que tu fais de ça ? » et veut le lui arracher. Mais Schmidt s’y oppose « laisses lui ! « . Ce chapelet qu’il avait entre les doigts au cours de ses longues marches, ce chapelet qu’il avait en prison, puis à la torture, qu’il a gardé et dit jusqu’à l’heure de sa mort a été remis à sa femme ».

Vers le 13 juin 1944, Charles Lusset est libéré. Pierre Poutrain restera seul en cellule jusqu’au jour de son assassinat  (il n’y a pas d’autre terme) le 19 juin 1944 vers 16h.  Fusillé.

 

La confiance de ses compagnons: un bel hommage.

Ses amis sont atterrés par la nouvelle de sa captivité. M. Ducatez continue ainsi  » alors qu’il était de règle quand un homme ou un chef était pris de changer de cantonnement (des papiers pouvant tomber aux mains de l’ennemi, des défaillances pouvant échapper aux plus braves dans l’excès de la souffrance), le commandant Ricard décide de maintenir son PC d’Ancelle au même endroit.Il était absolument sûr que pas un mot ne sortirait de la bouche de « l’oncle Pierre ».

Effectivement, pas un mot ne sortira de sa bouche.

 

Pierre arrive à faire passer un mot.

 J’ai entre les mains un document exceptionnel (unique à mon avis). Mais afin de ne pas alourdir le propos, seuls les évènements  les plus marquants sont relatés.

Voici donc un épisode qui date du 18 juin 1944 (veille de son exécution). Pierre Poutrain demande un pantalon neuf, le sien étant en piteux état. Tous connaissent Pierre et sont surpris de cette demande. A-t-il demandé une seul fois quelque chose pour lui ?  Mais voyons la suite. Une assistante sociale, Mlle Rispaud (qui rendra de nombreux services aux prisonniers au péril de sa vie)  lui apporte un pantalon neuf donné par la famille Barral (famille qui a aidé les Résistants pendant toute la guerre, et qui a accueilli le bébé des Demontis lors de leur arrestation). Lorsqu’elle arrive dans sa cellule, Pierre récite son chapelet. Il essaye donc ce pantalon devant sa porte de cellule sous le regard des soldats et de façon tout à fait inhabituelle il semble ne pas être content. Tout en semblant agacé, il se met à parler rapidement et arrive à glisser à l’assistante (les allemands ne comprennent pas les propos rapides de Pierre) qu’il faut regarder les poches et finalement refuse ce pantalon. En réalité il a eu le temps de mettre un billet dans la poche.

Mlle Rispaud se doute fortement du coup et trouve hors de la prison le petit mot……..la veille de la mort de Pierre.

 

Sa femme qui habite à St Omer, arrive à déchiffrer le mot.

Pierre a écrit son mot avec un crayon de mauvaise qualité et sur un tout petit papier. Les lignes se chevauchent. Quelques mots sont lisibles mais le reste échappe à tous. « Madame Poutrain, qui tient un magasin d’optique à St Omer a réussi par un jeu de loupe à le déchiffrer entièrement. Il porte la date du 18 juin…. » 

Le voici :

« J’ai été interrogé une fois……..J’ai eu les menottes pendant 80 heures…..j’ai tout encaissé. Je n’ai pas parlé….Magnificat………27eme jour de mon arrestation…..Amitiés à tous…….. »

 

Fusillé le 19 juin 1944.

Le lundi 19 juin 1944, entre 15h et 16h, Schmidt qui tient une liste à la main, vient faire l’appel  de ceux qui vont mourrir. Il est accompagné de soldats. Il crie « Poutrain, Humetz, Balmens, Mourenas, Meyer…… ». Les hommes sortent dans le couloir et sont menottés. Ils vont dehors, une camionnette arrive. En vitesse, la camionnette gagne les bords de luye. Une voiture de la Gestapo précède le sinistre convoi. Une dizaine de soldats sont à l’intérieur. Ils s’arrêtent à la ferme de M. Virgile Bernard. Pierre Poutrain passe près d’une femme terrorisée et lui dit « priez pour nous, c’est la fin »

Les soldats font  descendre les cinq hommes dans la prairie.

 

gestapo.JPG

Cette photo a été trouvée sur un site anglais du « Lions-club » (http://www.taylorsvillelionsclub.org)

 

Dans la ferme qui se trouve à côté, une femme apeurée, se lamente auprès de Mme Bernard   » Mon Dieu ils vont les tuer »…..une salve la rend muette de stupeur. La Gestapo et les soldats repartent aussi vite. Pendant une heure personne n’ose s’approcher. « Peut-être des soldats sont-ils restés là pour garder les cadavres. Peut-être seraient -ils capables de tirer à nouveau sur des curieux….. ».

La Préfecture est prévenue par la Gestapo vers 17 h que cinq individus (sic) qui avaient porté les armes contre les troupes allemandes venaient d’être fusillés au bord de la Luye et qu’il y avait lieu de faire enterrer les corps sur place. Aucun nom n’est communiqué. L’émotion du Préfet est grande « car c’était la première fois qu’un tel crime était commis dans son département et que du sang y était si lâchement versé » .

Personne ne connait ces hommes qui viennent d’être fusillés. Pierre Poutrain est l’un des premiers à être reconnu car il ressemblait beaucoup à son frère Louis, prêtre très connu dans le Champsaur.

 

Transfert du corps de Pierre en 1946

Lorsque son frère Louis revient de déportation, son train arrive à Paris. La famille le prend en charge car il est extrêmement faible. Il apprend cette terrible nouvelle : son frère Pierre a été fusillé le 19 juin quelques jours avant la libération !  C’est une épreuve terrible. Lorqu’il rejoint le Champsaur en 1946, il reprend son activité de prêtre dans la même paroisse. Il fera transferrer le corps de son frère dans le cimetière du village de Saint-Jean en 1946, non sans quelques difficultés.

 

Pierre-Poutrain-tombe.jpg

Photo 2011. La tombe est fleurie. Pierre et Louis sont là dans ce caveau.

 

Mot du Webmaster: lorsque je suis arrivé sur cette tombe, j’avais déjà découvert la vie du Père Louis Poutrain à travers son livre  « La déportation au coeur d’une vie », (lu à 2 reprises car très riche d’enseignements), j’avais découvert également  la vie de Pierre à travers de nombreux écrits. Je venais donc en quelque sorte découvrir la tombe de deux amis.  J’étais méditatif, lorsqu’un magnifique arc-en-ciel est venu embellir l’horizon. Etonnant ce petit cadeau du ciel lorsqu’on sait qu’il est symbole de l’alliance entre le ciel et la terre (Génèse) !  Dommage je n’ai pas eu le réflexe de prendre la photo. Mes pensées étaient ailleurs…….

 

Pierre-Poutrain-copie-1.jpg

  Paroisse de Saint-Jean où Louis Poutrain a été prêtre jusqu’en 1972. L’arc-en-ciel est sur sa fin mais toujours là.

 

In Mémoriam…….

 

Memorial-Pierre-Poutrain.jpg

Ce mémorial se trouve à l’entrée de la vallée de Champoléon. La plaque du bas indique «  A la mémoire de Pierre Poutrain de Saint Omer animateur de la Résistance dans nos vallées, fusillé à Gap le 19 juin 1944 à l’âge de 36 ans. « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». Ses amis avaient repéré en lui un grand Chrétien et lui ont attribué cette parole du Christ trouvée dans l’Evangile de Saint  LUC.

 

Mémorial de Laye, 30 km plus loin, au col Bayard

 

Memorial-Resistance-Champsaur-a-Laye.jpgA Laye, non loin du col Bayard, le mémorial rappelant le sacrifice de tous les Champsaurins morts pour la France en 39 45.

 

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