Un conte du Champsaur
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LE COUP DE SANG DU PERE PAPET
Article écrit par Robert Faure le 06/12/2010
…Il était une fois… Ce pourrait être une merveilleuse légende moyenâgeuse…et pourtant c’est une histoire vraie.
Une histoire vraie qui concerne ma famille et qui s’est passée au début du siècle dernier. A cette époque, toute la famille Faure habitait Le Freyne, un petit hameau planté sous les rochers du Palastre. Mon père et ma mère venaient juste de se marier. C’était dans les années 1906-1907. Dans cette grande famille se distinguaient deux soeurs jumelles : Maria et Rosalie Faure qui attiraient l’attention et les avances de la jeunesse environnante…. et plus particulièrement celles d’un apprenti meunier du moulin de Pont du Fossé : Joseph Papet.
Joseph Papet leur faisait une cour assidue.
Parfois, il venait, à la tombée de la nuit, sous les fenêtres de la maison, pousser sa sérénade. Il acceptait aussi, de venir chanter aux messes, surtout dans l’espoir de les apercevoir dans l’autre travée de l’église. Pourtant, dans la famille Faure, cette insistance n’était pas vue d’un bon oeil. D’abord Joseph Papet n’était pas un agriculteur. Or, à l’époque, qui n’était pas paysan était taxé systématiquement de bon à rien. De plus, Joseph Papet faisait montre d’une personnalité entière et parfois vive. Et les parents se demandaient si ce fougueux prétendant allait pouvoir rendre heureuse l’une ou l’autre de ces petites jumelles, douces, calmes, instruites, qui pourraient « faire institutrices. »
Joseph Papet semblait avoir fait son choix : il avait dans l’idée de demander la main de Maria. Mais, un jour, il apprit que Maria, de son plein gré, avait pris le bateau pour gagner la Californie. Pas découragé, Joseph Papet continuait, de plus belle, de faire la cour à Rosalie qui se montrait flattée d ‘avoir un cavalier aussi tenace et qui, ma foi, lui plaisait assez.
Mais, chez les Faure, on n’était pas vraiment d’accord pour l’éventualité d’un tel mariage. Il y eut conseil de famille avec tous les frères et les soeurs d’alentour. A cette époque, dans les familles champsaurines, c’était souvent les parents qui choisissaient… ou imposaient l’époux à leur fille.
Le clan avisa… et la sentence tomba.
Hortense, l’ainée des filles travaillait à Grenoble. On lui demanda d’enlever Rosalie de son entourage champsaurin, de la prendre sous sa coupe et de l’emmener avec elle à Grenoble. Rosalie trouverait peut être là bas un gentil fiancé de la ville …et, peut être aussi, le Joseph se fatiguera et cherchera ailleurs une autre fille à aimer…Chose dite, chose faite. Rosalie partit donc, avec Hortense, à Grenoble. Ignorant tout, le Joseph alla roder plusieurs jours au Freyne.
La première fois, on lui dit : « Elle est chez une cousine des Roranches qui doit bientôt accoucher ».
Le deuxième jour : « Comme on fait partie de la Fabrique, elle est allée aider à Monsieur le Curé. »
Le troisième jour, changement d’ambiance. Coup de sang : la porte de la maison est pratiquement enfoncée. Joseph, furieux, entre en brandissant un énorme bâton et en criant : « Vouss tuès touts! ,. Vouss tuès touts! » – « Quoi, Qu’est ce qu’il arrive? » – « Ce qu’il arrive, c’est que vous me la cachez. Je veux la retrouver. N’importe comment, je l’aurai pour me la marier. Je l’aime et , s’il le faut, je je tuerai tous ceux qui m’en empêcheront! » – « Oh là, daïse, Joseph, daïse! ».
Enorme colère! Feinte ou réelle???
La famille est quand même bluffée devant une telle détermination. Le clan tient à nouveau conseil… Il faut absolument éviter des drames et il faut se résoudre à tenir enfin compte des sentiments réciproques…puisqu’ils s’aiment… La décision est rapide : mon père est aussitôt chargé de sortir le cheval, de l’atteler au char à bancs, et voilà Pierre Faure et Joseph Papet partis, tantôt en carriole et tantôt à pied , faire de jour et de nuit les longs cent kilomètres pour aller chercher la dulcinée.
A Grenoble, Hortense se voit obligée d’accepter l’enlèvement.
…Et on ramène Rosalie Faure (celle qu’on avait tenté d’exiler) en char à bancs (cent kilomètres encore, en carriole, à pied, avec des haltes chez les paysans)…jusqu’au Freyne. Puis, ce qui devait arriver arriva : comme dans les contes de fées, Joseph Papet et Rosalie Faure se marièrent (belle noce rurale en chars à bancs et grand banquet dans la grange).
Ils furent heureux et eurent de nombreux enfants : sept garçons.
LA GRANDE FAMILLE
Les Papet au complet. En haut, de gauche à droite : Auguste (futur meunier) , Armand (futur boucher) , Joseph (futur coiffeur) . En bas : René (futur agent des Eaux et Forêts) , Joseph Papet , le patriarche, avec, dans ses jambes , Marcel (futur député des Hautes Alpes), puis Henri, (qui a travaillé toute sa vie au moulin), la mère : Rosalie Faure, et enfin André (futur instituteur).
Tous sont décédés. Mais la descendance, nombreuse et dynamique, n’est pas prête de mettre un terme à la saga des Papet.
LES PAPET DU MOULIN
La vie de la famille Papet au moulin de Pont du Fossé fut toute une histoire. Joseph Papet était venu comme apprenti au moulin de Pont du Fossé alors qu’il avait à peine 15 ans. Il devait attendre l’année 1929, longtemps après son mariage et l’arrivée de nombreux enfants, pour enfin s’installer comme patron en achetant le moulin. Son précédent propriétaire, Joseph Dusserre-Bresson désirait prendre une retraite paisible de rentier avec son épouse, Madame Bresson, une citoyenne pittoresque du village qui ne manquait jamais sa partie de belote quotidienne et pagnolesque au café près du Drac en compagnie du père Dao, de mon père, et de Valentine, la patronne.
Pendant ce temps, au Moulin, le ménage Joseph Papet – Rosalie Faure profitait des bonnes années de l’entre deux guerres, une période qui redonnait de l’activité au monde agricole et en conséquence aux moulins.
Cependant, en 1928, de furieuses crues emportaient la quasi totalité des moulins du Haut Champsaur situés directement sur les bords du Drac. Mais, parce que des digues avaient été construites juste avant la Révolution, quand le Drac passait au pied de Prégentil, le moulin Papet fut épargné et préservé.
Il pouvait alors se développer avec succès.
La belle époque, quand le moulin était en pleine expansion. Le premier camion Berliet arrivait dans la commune.
Le meunier se modernisait en achetant de nouveaux matériels : des broyeurs à cylindre venus d’Angers pour remplacer les anciennes meules à pierre, les blutoirs (pour séparer la farine et le son), des tamis (pour avoir différentes sortes de farines), tous actionnés par des courroies, des poulies, sans oublier les alarmes à sonnettes et de multiples engrenages, eux-mêmes entraînés par l ‘énergie fournie par la grande roue à aube actionnée par l’eau venue du Drac.
Le battage des épis de blé s’effectuait derrière le moulin et les grains passaient ensuite directement au broyeur pour donner la belle farine.
La farine était belle. Le pain blanc remplaçait le pain d’orge ou de seigle. Grâce aux turbines du moulin, les maisons de Pont du Fossé pouvaient avoir l’électricité, même si, dans chaque maison, une seule lampe à filament de carbone était autorisée. Derrière le moulin, la scierie débitait quantité de « billons » de sapins et de mélèzes. Le moulin travaillait nuit et jour. Les paysans venaient battre leur blé avec la batteuse installée juste derrière le moulin. On allait et on venait avec de grands sacs de farine de 120 kilos portés sur la tête. Tous les gens de l’entreprise familiale ne se ménageaient pas. Les nombreux garçons aidaient à mener à bien les différentes activités : meunerie, scierie, exploitation forestière, production d’électricité…Tout marchait bien!
Mais, vers 1950, la concurrence industrielle, impitoyable pour les entreprises artisanales, entraînait le déclin de la meunerie. Des sociétés importantes comme « Soufflet » , « Les Grands Moulins de Marseille » portaient un coup fatal aux moulins locaux en monopolisant le commerce de la farine. L’Etat, de plus, nationalisait l’électricité en 1946. La roue à aube du moulin ne tournait plus. La scie ne chantait plus. Les paysans n’avaient plus besoin de farine : Ils allaient acheter leur pain chez le boulanger.
Un peu déçus, Joseph Papet et Rosalie Faure prenaient alors une sage retraite tout près du vieux moulin. Les sept garçons se dispersaient. Les anciens bâtiments étaient municipalisés. Ils devenaient un musée.
Ainsi finissait l’histoire d’un moulin qui tournait depuis 700 ans. ( 1 )
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( 1 ) On peut lire à ce sujet une enquête parue dans l’édition 2008 du « Bulletin de la Société d’Etudes des Hautes Alpes » : Le musée-moulin de Pont du Fossé, 700 ans d’histoire, par Robert Faure.
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