Quand Louis XI régnait et randonnait dans le Champsaur.

 

Par M. Robert Faure

Article écrit en février 2009

Le grand roi de France, pour les Champsaurins, n’a pas été le roi Louis XIV (il n’a même pas pu protéger les Champsaurins quand les troupes savoyardes sont venues en 1698 mettre le pays à feu et à sang), non, celui qui a laissé les meilleurs souvenirs dans le Champsaur, c’est Louis XI.


Et pourtant, les historiens ont surtout laissé de Louis XI
l’image détestable d’un roi qui enfermait dans des  cages de fer ceux qui l’avaient trahi.

 Or Louis XI a été un grand roi qui a construit la France en lui apportant huit régions nouvelles.

Mais, avant de devenir roi de France, il a fait ses premières armes, dans le Dauphiné où il a passé, entre ses 24 et 33 ans, les meilleures années de sa vie.

 

Fils aîné de Charles VII, celui qui allait devenir Louis XI ne cessait de demander à son père d’aller s’occuper, comme Dauphin, de la province du Dauphiné plutôt que de vivre à Chinon. Mais son père, fréquemment en conflit, le lui refusait. Il a fallu un incident avec la belle Agnès Sorel, la maîtresse de Charles VII ( pris d’un accès de colère, Louis l’aurait injuriée et poursuivie avec une épée jusqu’au lit de son père) pour que, chassé de Chinon, Louis prenne, en janvier 1447, la route du Dauphiné.

Et il devenait, à 24 ans, le Dauphin Louis II, s’établissait à Grenoble où il instituait un Parlement.

Il s’empressait de visiter tous les coins de sa province.


Le futur roi Louis XI régnait sur le Dauphiné : Isère, Drôme, Hautes Alpes et venait souvent à Montorcier, résidence des rois-dauphins. Sur cette carte anglaise d’époque, Montorcier était la localité principale du Champsaur.

Le parcours Grenoble-Embrun, par la vallée du Drac et le col de Freissinières, avec halte à Montorcier, allait être l’une des promenades favorites du jeune Dauphin.

Son lieu d’étape était, en effet, le château de Montorcier , résidence d’été des rois-dauphins, situé près de Pont du Fossé (malheureusement aujourd’hui totalement en ruines).


      Montorcier et ses péripéties: du temps des rois dauphins jusqu’à Lesdiguières. Le roi Louis XI y est évoqué.

Et c’était aussi son Quartier-Général quand, à peine arrivé, il s’est agi de combattre son adversaire le plus acharné, l’évêque de Gap, Gaucher de Forcalquier, tyran local, qui avait fait condamner Jean de Montorcier à être pendu aux fourches patibulaires et avait contraint 700 familles gapençaises à fuir en plein mois de janvier et à se réfugier dans le Champsaur. C’est là qu’il entendait leurs lamentations. Aussitôt le Dauphin mobilisait les gens du Champsaur et mettait sur pied, avec eux, une force armée qui s’emparait des bénéfices du diocèse, et obligeait l’évêque  à se soumettre et à  reconnaître la souveraineté du Dauphin, un Dauphin qui allait alors régner en monarque absolu sur sa province, de 1447 à1461.

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      Ce qu’il restait, au début du XXe siècle du superbe Château de Montorcier au sommet de la colline de frustelle.

Le futur Louis XI se prenait très vite d’affection pour les Champsaurins. Il confirmait leurs privilèges.  Il se sentait à l’aise parmi les gens simples. Il était d’une familiarité engageante et doué de beaucoup d’humour et d’ironie. Il apprenait le patois local. Il s’habillait de vêtements peu coûteux et portait des chapeaux bizarres. Il appréciait les nourritures paysannes au point d’exempter d’impôts les hôtes qui lui offraient du bon beurre. Il mangeait et buvait de bon coeur, souvent dans les chaumières isolées des paysans. Cavalier infatigable, il aimait particulièrement aller à Champoléon. Il s’exténuait à la chasse. Mais, habile à charmer, il aimait aussi le repos du guerrier. Célibataire, et en pleine jeunesse, il se choisissait de nombreuses maîtresses et donnait le jour à pas mal de petits Champsaurins et de petites Champsaurines.  Difficile à l’époque de résister au droit de cuissage.

 

Pour récompenser ses amis Champsaurins, il allait anoblir plusieurs familles. Il honorait particulièrement son compagnon de chasse , fournisseur de filles: Jean Martin qui le recevait souvent à Champoléon. Il anoblissait aussi l’herboriste Queyrel qui l’avait guéri d’une crise d’ hémorroïdes lors d’une rencontre à Saint Jean de Montorcier, le bucheron Richaud qui avait abattu un ours prêt à le dévorer, Pierre Faure de Pellafol et bien d’autres.

 

Il encourageait et aidait les paysans de la vallée. Sa théorie était la suivante: pour que le pays que j’administre me rapporte encore plus d’argent, il faut qu’il soit prospère. Comme il constatait que les Champsaurins s’occupaient avec une remarquable intelligence de leur bétail, il décidait de , développer l’élevage, en favorisant l’irrigation des prairies. C’est ainsi qu’en 1442, il donnait l’autorisation de creuser le béal, le canal de Pont du Fossé à Saint Laurent. Et, le 11 juillet 1450, il autorisait le Gapençais à détourner le torrent d’Ancelle pour arroser le territoire.

Pour aider la population victime des dégâts occasionnés par le Drac, il lançait un impôt général à tous les Dauphinois pour qu’ils contribuent aux réparations contre le Drac « qui descend des hautes montagnes et court si impétueusement qu’il gâte et détruit une grande partie du meilleur territoire ».

 

Le Dauphin randonnant

Pour apaiser les conflits, il jouait le Saint Louis dans le Champsaur. Il intervenait à Saint Bonnet à la suite d’une bagarre et prenait position en faveur de James Chabot, « fermier du péage de Saint Bonnet » qui, à la suite d’ une dispute à propos de l’infidélité de sa femme, avait tué Pierre Bellue d’un coup de tête.

 

Il ne restait pas insensible aux plus graves malheurs des Champsaurins. Quand les inondations avaient ravagé Champoléon, les habitants voulaient abandonner la vallée. Sur 160 maisons, il n’en restait plus que 40. Louis XI les dissuadait. Et, le 13 avril 1447, il écrivait une lettre remettant la moitié de leurs impôts aux gens de Champoléon pour 40 ans, à cause des dégâts occasionnés par le Drac, faveur qui devait être renouvelée le 12 décembre 1490.

 

Louis XI aimait les gens du Dauphiné. Il se glorifiait d’être le maître d’un pays « dont les merveilles  surpassent les sept merveilles du monde ». Et jusqu’à la fin de sa vie, il pensait à son Dauphiné qui avait été pour lui son meilleur univers. Il arrivait à convaincre le pape Sixte IV de lui accorder à lui et à tous ses successeurs à la tête de la France, le titre de chanoine d’Embrun (c’est ainsi que le général de Gaulle, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy sont devenus chanoines d’Embrun avec le droit de porter la chape comme les autres chanoines).

Messes et prières n’empêchèrent pas Louis XI de tomber gravement malade. Ses dernières paroles, il les adressa à Notre Dame d’Embrun : « O Dame d’Embrun, ma bonne maîtresse, aidez moi! ». Et il mourait le 30 août 1483 sans doute en pensant à la province adorée de sa jeunesse quand, partant de Montorcier, il chevauchait à travers le Champsaur, remontait par Orcières et le col de Freissinières pour se rendre à Notre Dame d’Embrun, envers laquelle il avait une dévotion particulière. Tout au long de sa vie, il avait porté à sa toque une statuette en plomb de la vierge d’Embrun.

 

Etrange époque que celle de Louis XI où l’on pouvait mêler sans problème paillardises, supplices,    prières et dévotions. Mais horrible époque si l’on songe que, quelques années plus tard, lors des guerres de religion, les huguenots allaient jouer aux boules  avec les os du roi Louis XI lors du saccage de la basilique de Cléry où il reposait.

 Je suis allé à Cléry et j’ai vu le crâne, récupéré, de Louis XI, exposé dans l’église…Emotion bizarre.

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