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Les patarons du Champsaur racontés par Faure Robert
Article revu et corrigé en janvier 2015
Dans le Champsaur, on ressent encore certains relents d’une scission qui a opposé les familles pendant un bon siècle. Le concordat signé par Bonaparte en 1801 pour réorganiser sous sa tutelle l’Église de France allait avoir des répercussions assez curieuses dans le Champsaur.
Bonaparte choisissait en effet ses propres évêques sans demander l’avis du Pape. Beaucoup de Champsaurins s’y opposèrent, suivant ainsi la « Petite Église », une réunion de catholiques traditionalistes qui ne reconnaissaient que l’autorité du Pape.Comme ses fidèles parlaient toujours du Pape et de Rome, on les surnomma les « patarons », mot d’autant plus méprisant qu’il ressemblait au mot local « patareau » qui signifie « serpillière ».
« Serpillières du Pape », ils se voulaient catholiques par excellence, pauvres et humbles. Ils menaient une vie très austère : grande sévérité des mœurs, volonté de probité, souci de bienfaisance. Ils observaient tous les jeûnes: ni crème, ni œufs, ni viande pendant le carême. Ils baptisaient eux mêmes leurs enfants sans déclarer leur naissance à l’état civil, se confessaient directement à Dieu, s’imposaient eux-mêmes leur pénitence, se mariaient sous la présidence d’un chef en présence de quatre témoins de leur secte.
Les patarons persistaient à célébrer les 14 fêtes religieuses supprimées par le Concordat et chômaient ces jours là. Ils ne comprenaient pas pourquoi le Concordat n’en avait conservé que 4 : Noël, l’Ascension, l’Assomption, et la Toussaint : « Per qué an gara les festas? »
Comme on n’acceptait pas d’enterrer leurs morts en terre sainte, ils les ensevelissaient clandestinement la nuit. Mais, lors de la cérémonie du Jour des Morts, le curé concordataire, lorsqu’il bénissait les tombes du cimetière, faisait étendre un drap mortuaire sur les tombes des patarons pour que l’eau bénite ne touche surtout pas leur sépulture.
Les femmes avaient un rôle prépondérant chez les patarons: elles s’imposaient et elles prêchaient.
Trois chapelles servaient de centre de réunion: celle de la famille Grégoire à Villard de Laye, animée par une dame Blanc, ancienne religieuse, celle de la famille Romain Dusserre Bresson au Moulin de Pont du Fossé et une chapelle à Buissard dans la maison d’Alexandre Jaussaud, dit « Sandre ».
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Cette chapelle devant laquelle se dresse la croix bien particulière (avec ses extrémités en triangle) est la chapelle des « patarons ». Elle se trouve juste en face du moulin musée de Pont du Fossé.
Dans le Haut Champsaur, on comptait en 1803 un millier de patarons (soit un Champsaurin sur dix). Celui qui dirigeait le « Conseil des Anciens » était le meunier Romain Dusserre Bresson. Mais c’était surtout la meunière, (et les femmes), qui s’activaient pour animer leur « Petite Église ». Les Champsaurins ont été les premiers à pratiquer dans les Hautes Alpes la laïcisation et la féminisation de l’ Église.
Pour bien se distinguer des autres, les Champsaurines qui faisaient partie de la secte des patarons portaient au cou la « croix pataronne », une croix bien particulière avec, à ses extrémités, trois triangles, pour bien affirmer leur croyance à la Sainte Trinité : au Père, au Fils et au Saint Esprit.
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Photo de la dernière pataronne champsaurine, meunière au Moulin de Pont du Fossé. Elle porte, en bijou, la croix pataronne terminée par des triangles, symboles de la croyance des patarons champsaurins en la Sainte Trinité. Cette photo a été prise en 1914 par Joseph Dusserre Bresson, dernier pataron du Champsaur. M. Joseph Dusserre Bresson était alors maire de Saint Jean Saint Nicolas. Il est décédé en 1974.
Comme leurs prêtres dissidents avaient été tous emprisonnés ou pourchassés, les Patarons du Champsaur comptaient absolument sur l’abbé Beaunier qui, une fois par an, et cela pendant 12 ans jusqu’à son arrestation, entreprenait à travers la France, le long voyage de Vendôme (Loir et Cher) jusqu’à Pont du Fossé, à pied et en cachette, circulant de préférence la nuit, pour venir dire la messe dans une pièce voûtée du moulin ou dans la chapelle privée du meunier.
A Vendôme, j’ai retrouvé la tombe de l’abbé Beaunier, isolée, mais pieusement conservée à l’ombre du clocher d’Areines. On peut lire que l’abbé des Patarons a été « respecté de tous ceux qui l’ont connu et regretté de sa famille et des fidèles restés attachés à la foi de leurs pères »
Il fallut attendre la disparition de Napoléon pour que les patarons du Champsaur constatent, avec satisfaction, qu’ils avaient eu raison, puisque, finalement, les catholiques sont redevenus fidèles au Pape et à Rome.
Voici la stèle de l’abbé Beaunier qui s’était tant dévoué pour les catholiques du Champsaur.
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