AVEC UN REVEUR UTOPISTE, LA SAGA DES NICOLAS du SERRE
(article écrit le 4 novembre 2014 par Robert Faure)
Le Serre : Un coin perdu au ras du Palastre
Le Serre, c’est, au bout du bout de la commune de Saint Jean Saint Nicolas, le domaine le plus haut, le plus exposé aux décrochements des falaises du Palastre, le plus angoissant peut-être…mais aussi le plus propice aux rêves. C’est là qu’est né en 1798 Jean Nicolas. Son père était « laboureur ».
La révolution de 1789 était passée par là.
Le Serre ne faisait pas partie des 13 domaines nobles qui existaient en 1789 dans la commune de Saint Jean Saint Nicolas : Prégentil, Montorcier, Le Rival, Saint-Jean, La Coche, Les Ricous, Pré-la-Grange, Le Diamant, Les Arieys, La Pallue, Le Freyne, La Tour, Les Roranches.
Au Serre, la famille Nicolas était relativement pauvre mais digne.
Et le père, préoccupé pour ses enfants, était bien conscient que la vie paysanne était trop dure au Serre avec une terre stérile, un sol d’éboulis, une ferme isolée, enclavée, un climat rigoureux, dans la neige pendant 7 mois d’hiver …
Soucieux d’apporter un meilleur avenir à ses trois enfants, il allait tout faire pour leur apporter la meilleure éducation et leur trouver les meilleurs enseignants.
L’aîné, Pierre, sera notaire : notaire dans la commune de Saint Jean Saint Nicolas. Il sera relayé, à son décès, par le dernier de la famille : Augustin, devenu lui aussi notaire. Puis le petit-fils, Irénée Nicolas, sera élu maire de la commune de Saint Jean Saint Nicolas.
Quant à Jean, le cadet, il sera médecin.
Une ascension sociale réussie avec classe
Archives familiales : Anne-Marie NICOLAS
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DES BOULEVERSEMENTS DANS LA FRANCE PROFONDE.
Avec l’exemple de la saga des Nicolas du Serre à Saint Jean Saint Nicolas, on peut constater combien la Révolution française de 1789 a pu avoir d’évidentes conséquences dans la France profonde, provoquant des bouleversements au niveau des familles dans les petites communes.
Ainsi, à Saint Jean Saint Nicolas, la quasi totalité de la douzaine des élites nobles, (qui possédaient châteaux et belles propriétés), soit avaient quitté la vallée, soit, profil bas, avaient perdu toute influence, soit s’étaient abartadies…
Ces élites s’étaient pour la plupart évaporées ou étaient tombées dans l’ombre.
Un renouveau allait arriver, venu des classes les plus basses, malmenées jusqu’alors, qui allaient profiter d’une instruction accessible et gratuite qui leur était accordée et d’une impulsion dynamique qui leur était donnée grâce à une sélection par les préfectures et l’Education Nationale.
Les familles qui étaient repoussées presqu’au delà de la commune : Ribail ,au haut de La Coche, (premier maire après 1789) puis Nicolas du Serre, du pied du Palastre, devenaient alors les personnages centraux de Saint Jean Saint Nicolas.
Les enfants du « laboureur » du Serre pouvaient alors accéder à des postes politiques et à des situations qu’ ils n’auraient jamais pu espérer auparavant : notaire du canton d’Orcières, médecin dans le chef-lieu du canton à Saint Bonnet, maire de la commune de Saint Jean Saint Nicolas : belles promotions dues a ce courant post-révolutionnaire.
Belles promotions certes, mais insatisfaisantes aux yeux de certains qui, comme Jean Nicolas du Serre, (ancien étudiant de l’Université de Médecine de Montpellier), auraient voulu, au delà de l’aisance matérielle et de la réussite professionnelle, un idéal révolutionnaire plus poussé et plus fraternel afin d’ offrir une société meilleure, plus juste et plus généreuse à un plus grand nombre de gens.
Jean Nicolas du Serre était un visionnaire, mais un visionnaire peut-être un peu trop optimiste.
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Jean Nicolas : plus philosophe que médecin
Jean Nicolas était un peu un cas à part. Jean Nicolas n’avait pas de rêve de noblesse revancharde ni d’ambition personnelle. C’était un caractère doux, chaleureux et charitable . Médecin à Saint Bonnet en Champsaur, il soignait souvent les clients qui survivaient dans la pauvreté avec, en guise de paiement, la certitude de participer à la construction et à l’avenir d’un monde meilleur. Au delà de la médecine bénévole, il aimait la philosophie, la nature, la peinture… Il publiait aussi des petits ouvrages notamment un essai sur « la topographie du Champsaur », (ouvrage qui a été réédité en 1995 par « Les éditions de la librairie des Hautes Alpes ».)
Puis, sa vie allait brusquement changer en 1848.
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Il accueillait avec joie la proclamation de la République. Mais il se morfondait quand Louis Napoléon Bonaparte réussissait son Coup d’Etat le 2 décembre 1851. [1]
Influencé par son gendre, Joseph Pauchon de La Fare qui avait épousé sa fille Emilie, et, avec d’autres Champsaurins, Jean Nicolas s’enrôlait dans le mouvement de « La Montagne » quand survenait le Coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en 1851.
Pacifistes convaincus et soucieux d’une vie plus juste et plus généreuse, ils militaient dans le département. Malheureusement pour eux, ils se faisaient arrêter et emprisonner.
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La chimérique ambition
Une fois relâché, Jean Nicolas se passionnait alors pour les écrits de Charles Fourier qui tentait de promouvoir le mouvement socialiste utopique, une envie d’idéal, qui avait parmi ses partisans Victor Considérant, Eugène Sue et George Sand. Pourquoi ne pas tout abandonner, se couper de la vie actuelle et partir aux Etats-Unis vivre dans un phalanstère? Le rêve était beau. On leur avait décrit le phalanstère comme un lieu communautaire formé par la libre association et par l’accord affectueux de ses membres, un lieu qui prônait la distribution en commun pour le profit de tous. Décision prise, Jean Nicolas arrivait à convaincre deux amis avec lesquels ils s’embarquaient au Havre le 28 février 1855 sur le paquebot « Nuremberg ». Ils retrouvaient là quelques uns des 200 Français qui, comme eux, avaient pris la même décision.Le voyage en bateau les emmenait vers le Texas.
Ils débarquaient vers Houston. Puis ils se dirigeaient vers le nord en transportant leurs biens dans des chariots conduits par des boeufs ou des chevaux.
Ils parcouraient ainsi près de 400 kilometres.
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La grande désillusion du phalanstère.
Ils arrivaient enfin, dépenaillés et chantant « La Marseillaise », au phalanstère situé près de Dallas, un phalanstère qui avait pour nom: « La Réunion ».
L’accueil était mitigé. Ils parvenaient difficilement à s’intégrer parmi les 400 premiers colons anglophones déjà en place, la plupart de professions libérales, et n’ayant pas tous beaucoup de grandeur d’âme. La communauté n’en était encore qu’à son ba-ba.
Jean Nicolas, spécialiste en topographie agricole, constatait vite que les terres n’étaient qu’un gisement de calcaire peu propice à l’agriculture. D’ailleurs il y avait dans la colonie trop peu de paysans. La production agricole se révélait vite insuffisante. S’y ajoutaient des gelées tardives, des étés torrides et une invasion de sauterelles.
Jean Nicolas s’accrochait un temps, voulant, avec son grand coeur, protéger au mieux de la maladie ses camarades qui vivaient dans des conditions difficiles.
Dans les moments de crises, les conflits de personnes étaient fréquents, l’idéal déchantait vite et l’égo l’emportait….Son enthousiasme cédait au bout de deux ans.
Il retournait dans le Champsaur le 20 août 1857, terminant ainsi sa chimérique ambition.
(Le phalanstère de « La Réunion » ne passera pas les 5 ans.)
Toutefois, Jean Nicolas, au soir de sa vie, aura quand même la satisfaction de voir tomber l’Empire et d’apprécier la vraie mise en route de la France vers la République.
[1] En revanche, après la prise du pouvoir du prince Louis Napoléon Bonaparte, les habitants de Champoléon, d’humeur politique différente, lui faisaient parvenir, pour le féliciter, un colis de fromages de Champoléon.
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