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« 11 Américains tombés du ciel » (en francais)
« Saga of the Ken Sorgenfrei Crew » (in english)
Nous allons retracer l’incroyable épopée survenue en juillet 1944 pour 11 aviateurs américains dont l’avion a été touché par la DCA allemande lors d’un bombardement sur Munich. Ils s’écraseront 2 heures plus tard, sur le retour, dans la vallée de Briançon, proche de Savines. Ils seront sauvés par le maquis français après des péripéties dignes d’un scénario de film.
La quasi totalité de nos informations proviennent du magnifique livre de Pierre Montaz « 11 Américains tombés du ciel »
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Ken Sorgenfrei, le commandant de bord, se trouve debout complètement à gauche. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Le 19 juillet 1944, leur bombardier Libérator B24 est gravement touché. Deux de ces 4 moteurs sont éventrés, mis hors d’usage. De l’essence se répand partout dans le fuselage et le mécanicien de bord ne sait plus où donner de la tête pour stopper les multiples fuites.
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L’équipage fait demi-tour et tente de revenir à sa base aérienne de Spinazzola en Italie. Mais l’avion perd de l’altitude, le pilote voyant qu’un 3eme moteur commence à faiblir, fait part à ses 10 coéquipiers qu’il faut à tout prix se détourner vers la Suisse (pays neutre) car ils n’arriveront jamais en Italie.
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On remarque sur cette carte que l’avion a survolé la Suisse pendant quelques minutes. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Au dessus des Alpes françaises, les montagnes enneigées et les vertes prairies leur font penser qu’ils sont déjà en Suisse et de toute façon leur avion n’a plus assez de puissance et chute. Les onze jeunes américains sautent en parachute très rapidement les uns derrière les autres. Pour le dernier il était temps, l’avion s’écrase 300 m plus loin dans un fracas épouvantable, entre le Grand Morgon et le Pic de Chabrières, dans la vallée de Savine-Briançon, à Prunières. Il est 15 heures. C’était leur 44eme mission au dessus de l’Allemagne, la dernière avant leur retour en famille aux USA.
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Dans la vallée de Savine
Toute la vallée entend l’énorme déflagration. Aucun doute la garnison allemande de Gap l’a entendue et de toute façon sera prévenue par un mouchard. Donc les Allemands ne vont pas tarder à arriver. Immédiatement les maquisards se mettent en marche vers la montagne à la recherche de l’équipage américain.
Ils les retrouvent et les aident à partir au plus vite de ce lieu. Les parachutes sont enterrés. Peut-être ont-ils encore une heure avant que les Allemands n’arrivent. Une camionnette les conduit vers le hameau des Rousses où l’accueil qui leur est fait est très chaleureux. On leur sert boissons et nourriture. Les Américains sont très surpris par cet accueil mais aussi par le comportement des Maquisards, leur accoutrement incroyable, l’absence apparente de hiérarchie, eux qui sont habitués sur leur base aérienne à suivre un règlement militaire très strict.
Rapidement, les Résistants décident de les acheminer encore plus haut, à plus de 2400 m, dans les forêts de «Pierre Rouge» sur le secteur de Réallon. Pour se faire ils réquisitionnent ânes et mulets. C’est le camp de Réallon qui les prend en charge sous les ordres des Lieutenants André Mermet et Jacques Vollaire (un ancien de Champoléon). On les installe sous des marabouts militaires et nos jeunes Américains commencent à découvrir une nouvelle vie, une vie de Résistant.
Nos amis américains avec le maquis de Reallon.(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
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Cinq jours plus tard, transfert de Réallon à Pont du Fossé
Le 24 juillet (5 jours plus tard) les Maquisards décident en accord avec les Américains qu’ils doivent rejoindre la Suisse, seule bonne solution. En remerciement et dans l’émotion des adieux, nos aviateurs donnent leur montre, leur veste d’aviateur, donnent en réalité tout ce qu’ils ont ! Quelques jours plus tard, passant les cols enneigés, dormant en haute altitude, ces vestes d’aviateur leur manqueront cruellement.
Après les adieux, ils redescendent dans la vallée pour retrouver une camionnette qui vient les chercher. En chemin ils s’arrêtent 2 minutes devant les débris de leur avion calciné avec grande émotion. En réalité, plus ils descendent, plus le trajet devient périlleux. A Chorges, sur la route nationale, ils croisent un long convoi allemand qui est certainement à leur recherche. Pendant 5 minutes tous sont pétrifiés ! Puis direction la Batie Neuve, les Borels, et enfin un chemin forestier pour passer le col de Moissière (la route n’est pas goudronnée) qui permet de rejoindre Ancelle dans la vallée du Champsaur.
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La limite du secteur de Résistance de Reallon s’arrête là. Ils sont accueillis par la famille Brochier (Résistant ) pour un déjeuner rapide, puis ils sont déposés aux Faix (commune d’Ancelle). Le chauffeur leur montre grosso-modo la direction qu’ils doivent prendre pour rejoindre la Suisse. En réalité il est très embarrassé de les voir partir sans aide !
La mauvaise nouvelle est annoncée à leur famille
La base de Spinazzola en Italie ne les ayant pas vu revenir et surtout n’ayant plus de nouvelles depuis 6 jours (alors qu’ils auraient pu téléphoner par exemple de Suisse), prévient leur famille qu’il y a tout lieu de craindre le pire.
Le périple dans le Champsaur
Nos aviateurs rejoignent Pont du Fossé et s’apprêtent à rentrer dans la vallée de Champoléon, mais plusieurs personnes leur signalent que c’est un cul de sac et qu’il vaut mieux aller vers Saint Bonnet toujours sur la rive droite du Drac. La rive gauche est dangereuse, un convoi allemand pourrait passer sur la route Napoléon. Le soir venu, bien fatigués et affamés, ils dorment dans une grange abandonnée.
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Chemin qui mène à Saint Bonnet sur les rives du Drac (avril 2019)
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Au petit matin, ils se dirigent vers Saint Bonnet, toujours entre le Drac et la montagne. Ils ne le savent pas mais depuis quelques kilomètres ils sont suivis par Emile Bertrand, Résistant, qui se demande qui sont ces 11 jeunes : Allemands, Anglais, Américains ? Il découvre à un moment l’écusson américain et il en est soulagé.
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Photo fin mai 2019
Une fois à Saint Bonnet (ils sont arrivés par la rue du 11 novembre et la place du marché en haut du village), ils se dirigent vers Bénévent et entre dans une petite chapelle pour prendre un peu de repos. Juste à ce moment là, Mme Davin (la femme du maire de Bénévent) entre dans la chapelle et se trouve face à eux. Emile Bertrand arrive quelques secondes plus tard et les rassure en leur disant en boucle « ami, ami… » et leur montre le brassard FFI. Les voilà un peu plus rassurés ! On leur apporte du pain et du café puis du sucre et un petit attroupement se forme. L’accueil est chaleureux. Emile Bertrand, laissant ce rassemblement amical, redescend vite à Saint Bonnet pour signaler à ses amis Résistants la présence de ces 11 Américains. Tous sont unanimes pour les faire redescendre sur Saint Bonnet. Marius Rebou le fromager du village les récupère avec son camion pour leur éviter les quelques kilomètres entre les 2 villages. Ils sont accueillis à l’hôtel Orcier place du Peyssier.
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Cette photo (carte postale) de l’hôtel a dû être prise vers 1960 compte tenu des voitures en stationnement (Renault Frégate et Dauphine)
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Très rapidement un accueil chaleureux s’organise et je cite Jules Carrel (ancien chef du centre « Jeunesse et Montagne » de Chaillol : « une réception s’est spontanément improvisée en milieu de journée avec le concours enthousiaste des habitants qui apportaient boissons et victuailles avec un mépris total de la plus élémentaire prudence….personnellement près de 40 ans après cet évènement, je me demande encore par quel miracle les Allemands ont pu ignorer la présence, ici, de ces 11 aviateurs américains. »
Deux ou trois guetteurs malgré tout, surveillent depuis la corniche de Saint Bonnet d’éventuels véhicules allemands qui pourraient traverser le Drac en contre-bas. Toujours à l’hôtel Orcier, le soir, un grand repas est organisé, avec musique, danse, alcool et victuailles à volonté au mépris de toute prudence. Nos Américains sont à nouveau très surpris par cet accueil dont ils se souviendront toute leur vie. Puis ils dorment sur place dans de bons lits et des draps blancs. Ils vont en avoir besoin car les jours suivants seront épuisants. Les maquisards au cours de cette nuit, préparent leur évacuation : ils ne peuvent pas rester là, dans le village. Ils décident de les accompagner le lendemain à la Chapelle en Valgaudemar pour ensuite passer le col du Gioberney (3233m) et rejoindre de l’autre côté les maquisards de l’Oisans. Ce sont les guides de l’ex « Jeunesse et montagne » qui les guideront. (L’association « Jeunesse et montagne » a été interdite par les Allemands en 1943 car truffée de Résistants)
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Vallée du Valgaudemar le 26 juillet 1944
Cela fait 8 jours que leur avion s’est écrasé.
Au petit matin, une camionnette vient donc les chercher à Saint Bonnet pour les accompagner jusqu’à La Chapelle en Valgaudemar en prenant bien-sûr des routes secondaires pour éviter la route Napoléon. Malgré tout, ils font 4km sur cette route très fréquentée par les Allemands, de Chauffayer à Saint Firmin, en prenant de gros risques. Ils sont nettement soulagés en entrant dans la vallée du Valgaudemar car l’Ennemi ne s’y est jamais aventuré.
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La fin de la journée se passe à La Chapelle où il est prévu qu’ils dorment à l’auberge Montena.
Le franchissement du col du Gioberney (3233m) est prévu pour le lendemain matin. Lever 2h du matin ….20h de marche sont au programme !! Nos aviateurs n’ont aux pieds que de petits mocassins, ils ont donné leur veste d’aviateur quelques jours plus tôt, et n’ont aucun équipement. Les 2 guides de « Jeunesse et montagne », Artru et Massot, auront un gros travail pour accompagner ces 11 gaillards inexpérimentés, non entrainés et sous équipés. En 8 jours ils avaient vécu déjà quelques aventures étonnantes. En réalité la grande aventure commence tout juste car ils vont vivre des évènements incroyables qui quelques décennies plus tard feront la UNE des journaux américains, à la sortie du livre de Pierre Montaz en 1994.
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(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
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Le passage du Gioberney le 27 juillet 1944
Toute l’équipe ( avec les 2 guides, 13 hommes au total ) se lève à 2h du matin et commence la lente ascension, un peu ralentis par l’entorse de cheville d’un des aviateurs qui s’était mal réceptionné lors du parachutage à Savines. Après 4h de marche, le lever du soleil est magnifique mettant en relief ces montagnes Himalayennes. Puis ils continuent leur ascension jusqu’au col du Gioberney. Quand un Américain demandait « c’est encore loin ? » les guides répondaient invariablement « encore 2 bonnes heures« . Au témoignage d’un aviateur interrogé 50 ans plus tard, cette ascension lui avait paru interminable et très éprouvante. Les passages difficiles de glaciers, les éboulis, les chaussures inadaptées, le froid….Rien ne leur sera épargné. Ils s’arrêtent pour déjeuner au col puis redescendent de l’autre côté vers le refuge de La Pilatte, 1000 mètres en contrebas. Au total 20 heures de marche et un repos bien mérité. Ils sont dans l’Oisans, le secteur est complètement tenu par la Résistance.
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(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Le lendemain, à 6 heures du matin, un Résistant de l’Oisans, passant par là, tambourine à la porte du refuge et se trouve très surpris par la présence de ce groupe hétéroclite de 13 hommes. Après avoir pris tous les renseignements, et partagé quelques nourritures avec eux, il redescend vers le village de la Bérarde pour prévenir ses amis maquisards.
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La descente vers la Bérarde pour les 13 hommes (28 juillet 1944)
Cela fait 10 jours qu’ils sont sur le sol français.
La journée est belle et c’est une chance. La descente vers le village de la Bérarde est un vrai plaisir après ce qu’ils ont vécu la veille. A l’approche du village les enfants et jeunes gens viennent les accueillir en héros avec des bouquets de fleurs cueillies sur les bords du chemin. Dans le village tous les habitants sont là pour les recevoir car ils le vivent comme les prémices de la Libération. La joie se lit sur tous les visages et nos Américains en sont bien surpris : l’accueil est royal, celui dû à des libérateurs. Les maquisards décident avec leur hiérarchie que ces hommes doivent descendre dans l’après-midi à Bourg d’Oisans pour rencontrer les responsables du secteur.
A Bourg D’Oisans (le 28 juillet après-midi )
Dans l’après-midi, à Bourg, l’accueil fait à l’équipage est à nouveau très chaleureux. Ils racontent leur épopée en boucle depuis leur écrasement à Savines jusqu’à ce jour. Une jeune interprète se fait le plaisir de tout traduire. Chacun se fait prendre en photo avec eux, les apéritifs se succèdent.
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Les deux guides (Massot à gauche et Artru à droite) sont entourés d’un cercle. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz). On devine que nos jeunes Américains aiment plaisanter, car ils entourent la jeune fille de façon… très amicale.
Plus tard dans l’après-midi on les fait descendre jusqu’à Pont de Claix où se trouve le poste Allemand le plus avancé : nos gaillards observent avec les jumelles l’ennemi. Ils écoutent très attentivement toutes les explications. Oui, le Vercors, les Glières, l’Oisans sont encore des « terres libres » où les Allemands n’osent pas s’aventurer. Malheureusement dans quelques jours ce sera la catastrophe pour ces 3 régions et les Allemands (pourtant déjà dans la débâcle du débarquement de Normandie ) seront odieusement (et inutilement) répressifs et violents. Nos aviateurs vont vivre cette tempête avec les Français.
Mais pour ce jour, nos Résistants sont très fiers de leur liberté et les Américains écoutent très attentivement.
Comme il se doit, le soir une fête incroyable est improvisée à Livet et l’alcool coule à flot. Ce sera la dernière fête avant la Libération…. que nos Américains vivront à Grenoble le 21 Août 1944. Des épreuves terribles attendent le groupe autant Américains que maquisards.
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De Livet à L’Alpe d’Huez (29 juillet 1944)
En réalité l’Oisans est totalement encerclée par les Allemands et le sentiment de liberté est faux. Les maquisards le savent et sont inquiets car à tout moment ils peuvent être attaqués par les Allemands, écrasés comme ce sera le cas dans le Vercors et aux Glières. Ils savent également que les 11 Américains ne peuvent pas intégrer la Résistance car ce serait trop risqué pour eux. En cas d’arrestation (ou même d’un simple contrôle routier) ce serait la condamnation à mort certaine.
Pour ces 2 raisons, il est décidé qu’ils monteront à l’Alpe d’Huez (nouvelle station de ski à l’époque) où se trouve un hôpital réservé aux Résistants blessés (dans le Grand Hôtel et son annexe). De cette façon, ils pourront rendre service mais ne participeront pas aux combats.
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Photo prise à l’Alpe d’Huez. A gauche Ken le commandant du B24 et à droite Perrin maquisard de l’Oisans. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
.Le médecin chef de cet « hôpital de brousse » est le capitaine Tisserand (chirurgien en temps normal à Grenoble) un homme qui par son sang froid et ses idées claires sauvera tout le groupe à plusieurs reprises. Son épouse est anesthésiste (enceinte de 8 mois en juillet 1944). Médecins et infirmières sont en nombre suffisant pour que des soins corrects soient assurés. Cet hôpital comporte une salle d’opération, du matériel de stérilisation, un microscope…..et (!) « d’instruments opératoires achetés par Tisserand à un chirurgien de l’armée italienne qui préféra en septembre 1943 repartir chez lui avec de l’argent dans les poches plutôt qu’avec son outillage de l’armée sur les bras« . La table d’opération est éclairée par un phare de voiture.
C’est à l’arrivée des 11 Américains à l’Alpe D’Huez que Pierre Montaz (l’auteur de ce livre en 1994) les rencontre pour la première fois. A partir de ce jour, il les accompagnera dans leur galère jusqu’à la Libération de Vizille (le 23 Août 1944).
Ils apprennent le 29 juillet avec consternation que le Vercors a été écrasé en date du 27 juillet et que les 35 maquisards soignés dans la grotte-hôpital de la Luire ont été massacrés (ils ont même tués les quelques soldats Allemands blessés et soignés par les Maquisards). A l’hôpital de l’Alpe d’Huez les médecins (et tout spécialement Tisserand) sont très préoccupés. Ils réalisent maintenant que les Allemands ne respectent même pas les règles internationales de la guerre voire les règles de simple humanité.
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Le Dr Tisserand (Tissot ) chirurgien de l’hôpital. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
L’hôpital de l’Alpe d’Huez reçoit son lot de blessés tous les jours car les français attaquent sans arrêt les positions allemandes pour saper leur moral. Par exemple, un train rempli de munition est attaqué, plusieurs maquisards arrivent en urgence à l’hôpital. Le jeune Seyer est amputé de sa jambe G , le jeune Allume a l’œil arraché (une balle est entrée par la joue droite et elle est ressortie par la tempe gauche) C’est une chance que l’œil gauche n’ait pas été touché. Le Dr Tisserand assure tous les soins.
Les jours qui suivent vont être terribles. Nous résumerons très largement ces péripéties pour ne pas trop alourdir l’article. Le livre fait 253 pages !
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L’Oisans encerclé et l’Alpe d’Huez sous une attaque imminente.
Le 11 Août 1944 (22 jours après le crash)
Le Dr Tisserand prévoyant la suite des évènements et l’attaque des Allemands, veut évacuer l’hôpital dans les plus brefs délais. Il ne veut pas subir le même sort que la grotte de Luire dans le Vercors. Il reçoit le feu vert du commandant Beyle pour l’évacuation. Dans la nuit du 10 Août tout est préparé : matériels, ravitaillement, médicaments. Le 11 Août 1944 à 9 heures la caravane s’ébranle, aidée par 8 mulets réquisitionnés la veille. Tisserand a décidé d’évacuer les grands blessés en premier (grâce à des charrettes). Ce premier convoi rejoindra l’Alpette à 2000m dans une zone de pâturage. Nos 11 américains font partie de ce premier convoi et seront d’une aide précieuse dans cette exode terrible. A la station, leur destination est restée secrète par mesure de sécurité.
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L’exode. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
En arrière plan on devine le dernier pylône du sommet des pistes. Tisserand a demandé qu’il n’y ait aucune Croix Rouge sur le convoi, même en brassard. Si les Allemands repéraient par avion le groupe et des Croix Rouges, ils seraient encore plus impitoyables. Il prévoit tout et se trouve devant ce long cortège avec une mitraillette en bandoulière. Deux maquisards ferment le groupe également armés. Le Dr Tisserand a prévu de faire dès le lendemain deux autres convois d’évacuation depuis l’Alpe d’Huez, concernant les blessés légers.
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(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Les Américains poussent les charrettes des blessés dans les endroits difficiles (un parapluie a été placé sur leur tête pour les abriter du soleil). La jeune femme (Irène) au premier plan est la fiancée de Gaëtan l’un des blessés. Apprenant qu’il avait été gravement atteint et amputé d’une jambe, elle s’est rendue (de Gap) à l’Alpe D’Huez en urgence. Elle ne le quittera pas une seconde jusqu’à la Libération au péril de sa vie à plusieurs reprises. Elle fait cette ascension avec des petites chaussures de ville. Le Dr Tisserand lui passera une canne de marche pour l’aider.
A l’Alpette, se trouvent deux chalets d’alpage : le premier assez petit servira à stocker les provisions, le deuxième plus grand abritera les blessés à même le sol.
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Deux autre groupes de blessés quittent l’Alpe d’Huez quelques heures plus tard
Comme nous venons de le voir le premier groupe des blessés graves est parti avec le Dr Tisserand à l’Alpette.
Un 2eme groupe de blessés plus légers est parti sous la houlette du Dr Bernard vers Villard Réculas (2h de marche). Mais le maire par peur des représailles refusent de recevoir ce groupe de 18 personnes. Finalement il accepte qu’ils s’installent dans la forêt pas très loin du village.
Un 3eme groupe de 15 personnes environ est parti vers Auris dans la forêt de Maronne.
Les Allemands attaquent l’Oisans
L’hôpital de l’Alpes d’Huez a été totalement évacué le 12 Août 1944. Dans la nuit les maquisards font sautés 3 ponts pour empêcher les Allemands de passer. Mais le 12 et 13 Août les bombardements ennemis se succèdent sur Vaujany, Allemond, Bourg d’Oisans, l’Alpe d’Huez (heureusement dans la station les bombes loupent leur cible) et les avions survolent à plusieurs reprises l’Alpette. Le groupe pense qu’ils ont été repérés.
Les Allemands mettront 5 jours pour progresser de 20 km…ils sont harcelés de toutes parts et essuient de nombreuses pertes. Ils entrent dans l’Alpe d’Huez le 14 Août 1944. Tous les habitants seront interrogés les uns après les autres et Pierre Montaz (l’auteur du livre) qui faisait depuis 3 jours les allers-retours entre la station et l’Alpette se trouvait juste là au moment de leur entrée dans le village. Il est interrogé comme les autres. Il écrira dans son livre « j’ai eu la plus grande frayeur de ma vie ». Mais devant l’officier Allemand il peut justifier sa désertion du STO par un certificat médical, de sa présence à l’Alpe D’Huez par un travail dans la station et justifier également d’une adresse sur place. Tout se passe bien malgré l’air suspicieux de l’officier.
Le Dr Tisserand décide de monter encore plus haut pour sauver son groupe
Tisserand est quasiment certain d’avoir été repéré par les avions de la veille. Compte tenu de la prise de l’Alpe d’Huez et de l’attitude très offensive des Allemands, il décide de quitter l’Alpette pour monter encore plus haut. Il se veut très prudent mais la réalisation de ce 2eme transfert relève de l’exploit car il doivent franchir des éboulis énormes. Le Maquis de la vallée est prévenu de cet exode de l’hôpital et monte au secours du groupe : ils arriveront juste à temps pour les défendre.
Le départ de l’hôpital à lieu à 10 heures et nos 11 Américains sont très dévoués pour aider les blessés. Le livre décrit longuement ce calvaire « Les éboulis semblent infranchissables. Le jeune Allume, presque aveugle, accompagné, passe d’un rocher à l’autre à quatre pattes ; un autre blessé ayant un tendons d’Achille coupé, a fixé une cordelette au bout de sa chaussure et relève artificiellement son pied à chaque pas. Les blessés des membres supérieurs ne peuvent s’agripper aux parois sans l’aide des copains qui les poussent et les tirent. Mme Tisserand prête à accoucher porte son précieux mais encombrant trésor…. ».
Très vite, la montée jusqu’au refuge de la Fare des 2 amputés semblent impossible. Ils sont cachés à proximité de l’Alpette par la construction rapide d’un muret autour d’eux. Seyer le premier reste en compagnie de Paul son infirmier. Le deuxième, Gaëtan, reste en compagnie de sa fiancée Irène. Les 2 blessés pensent qu’ils vont être attrapés par les Allemands et supplient leur gardien (Paul et Irène) de les abandonner. Mais les 2 resteront auprès des blessés au péril de leur vie. Et Pierre Montaz de rajouter « Tous les quatre vont vivre des heures effroyables que seuls des êtres d’exception pouvaient supporter«
Alors que le groupe marche depuis 2 heures (l’ascension est très difficile et lente), ils se font rattraper par Bernard Faure qui tout essoufflé, leur annonce qu’un groupe important d’Allemands montent vers l’Alpette. Tisserand avait vu juste ! Il vient de sauver pour la 2eme fois la vie des 18 personnes de son groupe. Au détour d’un chemin Mme Tisserand qui regarde en contrebas s’écrit « ça y est, les Allemands arrivent à l’Alpette !« . Tout le monde se couchent derrière les rochers et observent le mouvement. Le silence est absolu. Entre temps 75 maquisards sont arrivés (avant les Allemands) à quelques centaines de mètres de l’Alpette pour défendre l’hôpital en fuite, sauver les blessés. Tous ces hommes sont cachés entre les rochers, totalement invisibles. Donc statu quo incroyable : les Allemands se reposent et pique-niquent un moment à l’Alpette, les 75 maquisards armés jusqu’aux dents sont à quelques pas pour empêcher le passage mais ne bougent pas, les 2 amputés sont 200m plus haut et à 2 heures de marche au dessus, 16 personnes observent dans le silence et l’angoisse le dénouement de cette tragédie sous leurs yeux dont dépend leur avenir.
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L’ascension doit les mener au refuge de la Fare à 2300m d’altitude. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Un affrontement effroyable se produit
Alors que les Allemands après un temps de repos à l’Alpette reprennent la poursuite des fugitifs, dès qu’ils s’engagent sur le sentier un coup de fusil est tiré par un maquisard et un Allemand s’écroule. Le combat (presque corps à corps) débute. La riposte est très violente : les Allemands tirent partout avec des armes automatiques. Les 75 Maquisards, dirigés par le lieutenant Menton, éparpillés entre les rochers, invisibles, ripostent très peu au début car ils économisent leurs munitions et les Allemands tirent des milliers de balles dans tous les sens. Les Allemands tirent également vers les 16 réfugiés de l’hôpital (balles perdues car trop loin) qu’ils ont repérés sur les hauteurs. Finalement les Français commencent à utiliser leurs 4 Hotchkiss à gros débit, leurs mitraillettes, des lances grenades….. Les Allemands découvrent qu’il y a des français partout (l’avion de la veille n’avait vu que quelques blessés à l’Alpette. Là ils tombent sur 75 maquisards, c’est autre chose !). Ils sont très surpris non seulement par le nombre mais également par le matériel utilisé. Ils commencent à se replier. Ce combat acharné va durer 6 heures et les Allemands sont obligés de se retirer laissant 17 morts sur le terrain alors que du côté des Résistants pas un seul n’est blessé. Le lieutenant Menton rajoute dans ses écrits « Quel souvenir !!! Ce soir notre victoire si belle et si complète m’apparaît plutôt comme le résultat d’une protection surnaturelle que comme le produit de notre nombre, de notre armement ou de notre valeur tactique« .
Le lieutenant Menton semble avoir été (malgré ce qu’il dit dans le mot qui précède) un tacticien hors-norme après avoir remporté des victoires incroyables sur les Allemands dans l’Oisans à plusieurs reprises.
Les 2 amputés et leurs gardes (Paul et Irène) ont assisté totalement impuissants pendant 6 heures à ces combats acharnés, à moins de 50m des Allemands. Irène dira (toujours aussi calme) qu’elle entendait les Allemands parlaient à quelques mètres d’elle. Les balles sifflaient à leurs oreilles, frappaient les pierres autour d’eux. Aucun blessé ! Effectivement c’est très surprenant ! Quant aux 16 personnes de l’hôpital, elles ont suivi pendant 6 heures ce combat dantesque à distance, 300m plus haut. Elles savaient que l’issue de cet affrontement dicterait leur propre devenir.
Juste après le départ des Allemands, un jeune marocain particulièrement costaud arrive à remonter Gaëtan sur ses épaules jusqu’au refuge de la Fare et Irène sa fiancée peut rejoindre enfin, elle aussi, le groupe. Elle aura été un soutien indéfectible et incroyable auprès de Gaëtan en plein milieu des combats. Seyer, l’autre amputé, est resté sur le lieu du combat près de l’Alpette. Il est intransportable. Paul son infirmier reste avec lui. Paul aura tellement vu la mort de près au cours de ces 6 heures de combat, qu’il fait, dans ce laps de temps, une sorte de grand chemin spirituel et de conversion profonde. Il en est bouleversé. Après la guerre il deviendra pasteur.
Il n’y a pratiquement plus de nourriture. Ce n’est plus du rationnement mais du grignotage (2 biscuits Brun et 3 sucres par jour). Personne ne se plaint, tout le monde reste positif et battant. Ils sont vivants, c’est l’essentiel.
Une nuit courte
Tout le monde est réuni au refuge de La Fare (sauf Seyer), personne n’a été blessé, aucune perte ! Mais Tisserand ne perd pas pied : il est soucieux car les Allemands savent où ils sont. Il annonce malgré la fatigue qui est à son comble et que la faim les tenaille qu’il faut partir encore plus haut dès le lendemain matin. Lever prévu 4 heures !
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Un 3eme exode (26eme jour pour nos Américains) le 15 Août.
Ils ne le savent pas mais le débarquement de Provence vient d’avoir lieu ce 15 Août. Pour le moment, nos 11 Américains découvrent avec stupeur ce qu’endurent les français et aussi leur ardeur au combat.
A 4 heures du matin comme prévu, le 3eme exode commence, direction la cabane du Père Rajon à 2642m d’altitude. Gaëtan et Irène sa fiancée resteront (ils sont obligés) au refuge de La Fare en prenant de gros risques. Le chemin de l’exode recommence : personne ne rouspète malgré la faim et l’extrême fatigue car il s’agit de survie. Le moral est bon. La traversée des éboulis recommencent et nos Américains sont fourbus. Ils sont encouragés par …Mme Tisserand (enceinte de 8 mois) et ses sourires. Ils aident les plus handicapés. Vers 2600m avant le lever du jour, ils se rendent compte que la montagne les cachent à l’ennemi et à leurs jumelles. Quand vers midi ils arrivent à la cabane du Père Rajon, ils ont une grosse surprise. Elle est occupée par des Maquisards qui sortent d’un rude combat avec les Allemands au col du Lautaret la veille. Ils se sont repliés en ce lieu, sans couverture, sans nourriture, épuisés. Mais plus grave, ils signalent que les Allemands peuvent arriver en ce lieu à tout moment. Cette fois, les membres de l’hôpital sont moralement très éprouvés.
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La cabane du Père Rajon et le pierrier en arrière plan. (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Il faut donc repartir ! Tisserand décide que le groupe doit aller se cacher dans le pierrier au dessus de la cabane, parsemé en groupes de 4 personnes, le plus haut possible. Chaque groupe doit construire un petit abri de pierres pour se cacher et s’abriter du vent. La nuit si près des glaciers va être terrible.
Dans la soirée ils perçoivent un très puissant grondement : les Américains sont les premiers à comprendre. Il s’agit d’une énorme escadrille de B24 volant à haute altitude, dans un ordre parfait, venant du sud. « Tous explosent de joie , crient, acclament, agitent les bras …« . Enfin, une lueur d’espoir !
Trois jours d’attente à la cabane du Père Rajon (15, 16, 17 Août)
La première nuit est assez terrible car le froid est là, la neige, la faim, la fatigue, l’angoisse, le sol pierreux… Mais le 16 Août va être riche en changements.
Une grosse surprise : au petit matin, le jeune Allume (pratiquement aveugle) et un autre maquisard blessé gravement au genou, affolés par le discours des maquisards croisés la veille à la cabane, décident de quitter le groupe et de redescendre dans la vallée par un chemin hypothétique. Tisserand leur donne peu de chance de s’en sortir seuls. Pendant 6 jours ce sera effectivement une galère sans fin dans la montagne, semble-t-il avec des hallucinations (liées à la faim), perdus, errants pour trouver le chemin mais finalement ils s’en sortiront ….marqués pour la vie.
Tisserand demande à deux Américains d’essayer de trouver un mouton « errant » un peu plus bas dans la vallée. Ils en trouvent un qu’ils remontent. Il sera tué puis écorché par un maquisard. Comme le camp est dans le brouillard complet, cela donne à l’équipe un sentiment de sécurité. Ils allument un feu (la fumée ne peut pas être repérée) et peuvent faire cuire la viande qui sera appréciée de tous….
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(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Pour le numéro 17, il est indiqué Tissot. Il s’agit de Mme Tisserand. Son mari est le numéro 18. Sur cette photo ne se trouve pas le jeune Allume : il a dû déjà partir pour sa folle aventure.
Le froid est tel, que Mme Tisserand (Tissot) qui a beaucoup souffert la nuit précédente ainsi que les blessés décident de dormir dans la cabane du Père Rajon malgré les risques.
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Pierre Montaz rejoint le groupe du Dr Tisserand
Dans la journée du 16 Août, Pierre Montaz quitte l’Alpe D’huez car il veut rejoindre les blessés de Tisserand. Lorsqu’il arrive à l’Alpette, il est effaré par le champ de bataille qu’il découvre. Un des deux chalets a totalement brulé car les Français sur la fin du combat ont utilisé des balles incendiaires. Mais que s’est-il passé ? Puis dans un recoin, toujours caché entre les pierres, il retrouve Seyer qui lui explique et lui décrit ce combat dantesque. Il lui signale aussi que le groupe des blessés est allés se cacher à la cabane du Père Rajon et qu’ils sont sans vivre. Dans la fougue de ses 20 ans, nullement impressionné par ces longues courses en montagne, Pierre Montaz redescend illico chercher des vivres à la station pour ensuite remonter jusqu’aux blessés à la cabane Rajon !
Pierre Montaz (né en 1924) à l’époque de l’écriture de son livre en 1994 (Photo extraite du livre de Pierre Montaz). On m’a affirmé que Pierre Montaz était en 2019 en pleine santé et qu’il était très vifs d’esprit.
Avec le mouton attrapé par les Américains et les vivres de Pierre Montaz, le groupe peut enfin manger plus largement (un mouton pour 20 personnes sur 3 jours ce n’est pas énorme non plus). Des petits pains sont confectionnés avec un mélange de farine et de graisse de mouton (je suppose que la farine a été apportée par P. Montaz). Dans son livre il précise que le goût était médiocre mais l’ensemble bien calorique !!
Il raconte au groupe l’arrivée des Allemands dans l’Alpe D’Huez, les revers qu’essuient les Allemands dans l’Oisans, il leur apprend la grande nouvelle : le débarquement de Provence a eu lieu le 15 Août 1944. La joie du groupe est à son comble, d’autant que la remontée des Alliés depuis la Provence est très rapide car les Résistants ont fait un énorme travail. Le 17 Août Sisteron est libéré, le 20 Août 1944 Gap est libérée avant l’arrivée des Américains par le Maquis, Grenoble libérée le 21 Août, Vizille sera libérée le 23 par les maquisards. A Gap et à Vizille tous les Allemands sont faits prisonniers.
Le Dr Tisserand demande à Pierre Montaz de descendre sa femme à l’hôpital du Bourg D’Oisans. Il pense qu’elle va accoucher. Tous les 2 redescendent dans un premier temps (c-à-d le 1er jour) à l’Alpe D’huez. Puis le lendemain ils finissent la descente à pied (aucune voiture ne roule) jusqu’au Bourg D’Oisan. Et Pierre Montaz de rajouter « Arrivé au Bourg, je suis heureux d’avoir accompli cette mission, mais plus heureux encore de confier ma protégée à la clinique du Dr Faure. Mme Tisserand, dans la semaine de la Libération (23 Août 1944), donne naissance à une petite Danielle. Ce bébé a-t-il attendu, pour naître, un monde enfin libre…? »
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Le Dr Tisserand décide le 20 Août de redescendre dans la vallée
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Les nouvelles qui parviennent au groupe sont incroyables. Les Allemands sont en difficultés, bloqués dans certaines vallées par la Résistance (grâce au lieutenant Menton entre autres), ils sont indécis, manquant de mordant. Ils tentent de partir vers l’Italie, ils sont refoulés par les Résistants. Le livre ne le dit pas, mais ils ont certainement reçu l’ordre de remonter (depuis le débarquement) vers le Nord-Est pour défendre le pays. Mais les Maquisards ne l’entendent pas de cette oreille. Ils tiennent à leur couper le chemin, les faire prisonniers voire les écraser …pourquoi pas ?
Le commandant Beyle est monté voir les blessés jusqu’à la cabane Rajon pour leur rendre visite et leur donner toutes ces bonnes nouvelles. Les Allemands ont quitter le secteur de Vaujany et tentent vainement de pénétrer dans la vallée de l’Eau d’Olle. Il signale qu’actuellement le secteur de Rivier d’Allemont est calme et que c’est une opportunité pour redescendre dans la vallée. Le Dr Beyle et le Dr Tisserand décident le 20 Aout 1944 que le moment est donc venu de redescendre … avec quelques risques quand même. Cette descente se fera en 2 groupes :
1 / les blessés légers d’un côté avec le Dr Tisserand.
2 / les blessés graves de l’autre avec le Dr Roux,
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Le groupe du Dr Tisserand lors de la descente vers Rivier d’Allemont (Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
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Groupe N°1 : Sur cette photo, nous repérons 8 membres de l’équipage américains. Débout, en chemise blanche, Noël Monod qui a servi d’interprète pendant tout le séjour. Il parlait couramment Anglais et Allemand. C’est lui qui a pris la majorité des photos. Il a fait après la guerre une carrière à l’ONU où il eut de grosses responsabilités. Ce groupe du Dr Tisserand (et des 11 Américains) arrivera le soir à destination après quelques péripéties, passages de postes de FFI, approche très prudente des villages. Le soir, tous sont hébergés, mangent comme des ogres, « après avoir avalé un nombre impressionnant de biftecks » signale Pierre Montaz.
Le groupe N°2 du Dr Roux sera beaucoup plus long dans son périple compte tenu des graves blessés. Ils arriveront à destination à 10h du matin le lendemain, soit 26 heures après leur départ de la cabane du Père Rajon. C’est un exploit pour des personnes épuisés, affamés, blessés…un grand exploit et beaucoup de courage. « Ce que ces hommes ont fait, une bête ne l’aurait pas fait«
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Première jonction avec les Américains le 21 Août 1944
Un officier américain a été parachuté sur l’Oisans certainement pour évaluer les forces en présence et transmettre ses informations à son QG. Il apprend très vite qu’un équipage de 11 aviateurs est caché dans le maquis après que leur avion ait été abattu. Sur ce, très rapidement, il les retrouve à Rivier D’Allemont le 21 Août en passant par le Pas de la Coche. Après échangent d’informations et d’amabilités, nos 11 aviateurs repassent sous autorité américaine. Ils viennent de vivre 34 jours inoubliables : ce sont des hommes transformés.
Le 22 Août 1944 débandade allemande
Les maquisards apprennent que Grenoble est libérée et que les Allemands tentent de fuir la région pour remonter vers le Nord-Est. Les français doivent stopper leur « évasion » par le col du Sabot ou du Lautaret afin d’éviter incendie de villages, pillages, tueries.
Du coup, les Allemands sont refoulés vers Vizille d’où ils tentent de s’échapper en force par la Romanche mais les Maquisards déjà positionnés ont nettement le dessus et leur inflige de lourdes pertes.
Dans la journée les Français apprennent que les Américains sont là, aux portes de Vizille. Lanvin décide (il y va en moto) d’aller informer les Américains sur le positionnement des hommes. Les maquisards ont essuyé en effet quelques tirs malencontreux de canons. Le commandement Américain est sidéré de voir que les Résistants ont la situation en main sur tout le secteur. Finalement depuis le débarquement en Provence, ils n’ont pas eu un seul blessé et remontent vers les Alpes sans difficultés.
Anecdote : Lanvin en revenant près de ces hommes, leur raconte qu’il a vu chez les Américains une voiture incroyable (la fameuse jeep) qui passe partout et dont le look est très curieux, et qu’il a vu aussi une sorte de téléphone sans fil (les 1er talkie-walkies) qui permettait aux officiers de communiquer instantanément les informations entre eux …incroyable pour l’époque.
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Le 23 Août Libération de Vizille
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Pour Grenoble et pour Vizille, les maquisards décrètent une véritable insurrection populaire. A Grenoble, les Allemands partent d’eux-même le 21 Août. Mais à Vizille, ils sont cernés par les FFI de l’Oisans, aidés par ceux du Champsaur et de Grenoble. Ils arrivent malgré tout à se réfugier dans le château. Les habitants de la ville aident le maquis, l’un avec une arme de poing, l’autre avec un fusil de chasse… Finalement toute la ville se soulève.
Le courrier d’un habitant nous raconte les évènements « les Allemands avaient très peur de se rendre aux FFI et d’être finalement tous tués. Avant d’atteindre le château pour s’y réfugier, mon Dieu, ça claquait et pétaradait de tous les côtés, les combats étaient violents. Ils ont enfin pu y arriver, se barricader et attendre les Américains qui seraient plus cléments. Quelques heures plus tard, voyant au loin les Américains arriver, ils ont sorti le drapeau blanc et se sont rendus ! »
Une liesse incroyable envahie toute la ville qui est enfin libérée…. et les Américains sont là pour assurer cette nouvelle liberté. Tous les Allemands sont faits prisonniers.
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Le devenir de nos Américains
Dans Grenoble libérée, les aviateurs fêtent la Victoire. Alors qu’ils se trouvent à la terrasse d’un café, un Résistant de la dernière heure (dixit P. Montaz) exhibe un pistolet allemand, le manipule, et finalement un coup part. La balle transperce la cuisse de Ken (le commandant de l’avion) et celle de Mike qui se retrouvent … à l’hôpital.
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(Photo extraite du livre de Pierre Montaz)
Les 11 aviateurs rejoignent l’Italie par auto et avion-stop puis retrouvent leur base de Spinazzola. Ils passent chacun la visite médicale, sont interrogés par la « Military Police ». Dix jours plus tard ils accostent New-Port-New et rejoignent leur famille qui avaient été prévenues de l’heureuse nouvelle quelques jours plus tôt !!
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Les retrouvailles quarante ans plus tard !
1982 : L’équipage de l’avion est invité pour l’inauguration de l’hôpital des armées à Grenoble qui prend le nom d’Emile Pardé, Résistant mort en juillet 1944 dans l’Oisans. Ken, Carl, Marwin répondent à l’invitation. Pierre Montaz est désigné pour guider à nouveau nos Américains. Après la cérémonie, il les accompagne à Chorges où quelques personnes se souviennent (40 ans plus tard !) de l’explosion de l’avion et des parachutes dans le ciel. Nos Américains n’en reviennent pas… et croient au début qu’il s’agit d’une mise en scène … mais non, on se souvient très bien d’eux !
1983 : La rencontre de 1982 a été très fraternelle. Finalement 9 des aviateurs (2 sont décédés) se retrouvent à Bismark dans le Dakota. Quelques Français y participent dont Pierre Montaz. La presse américaine parle longuement de cette folle aventure. Ils reçoivent les félicitations de leur Président.
1984 : La revue Reader’s Digest du mois de septembre (introuvable malgré mes recherches) après interview des aviateurs et de Pierre Montaz, sort un article exceptionnel et très bien écrit sur leur aventure de juillet 1944
1985 : les 9 aviateurs se retrouvent en France du 17 juillet au 1er Août et « réalisent l’incroyable rêve d’un pèlerinage sur chaque lieu de leur épopée entre Prunières et Grenoble« . Ils sont accompagnés de leur épouse, enfants et petits-enfants. Ils sont promus citoyens d’honneur à Prunières au cours d’une cérémonie officielle et reçu officiellement dans toutes les communes traversées.
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Photo prise à Prunières (photo du Dauphiné Libéré).
1987 : Naissance de l’association « Américan Trek » dont le but est de perpétuer le souvenir, reconstruire les abris d’époque. L’abri du Père Rajon a été reconstruit l’été 1987 avec l’aide de 3 fils d’aviateurs, des scouts d’Europe et de nombreuses bonnes volontés.
1990 : Les 9 aviateurs se retrouvent à Dayton le 19 juillet, date du 46eme anniversaire du crash sur Prunières. 20 Français de « l’Américan Trek » font le voyage. Avec l’équipage ils visitent le musée de l’armée de l’air. Grâce à une autorisation exceptionnelle, ils peuvent (avec beaucoup d’émotion) prendre place à l’intérieur d’un libérator B24. Tous étaient émus et en avaient les larmes aux yeux.
1992: Inauguration d’un monument à Prunières sur les lieux du crash en présence des plus hautes autorités civiles, militaires, religieuse…
1993 : Kennon Sorgenfrei (le commandant de bord) de l’avion est nommé par le Président de la République Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur
1994 : sortie du livre « Onze Américains tombés du ciel » écrit par Pierre Montaz
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On peut trouver ce livre sur le site d’Amazon en occasion, à des prix très intéressants.
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