LANGUES REGIONALES : Le champsaurisme, on ne le trouve pas dans les livres.
§ Article écrit par M. Faure Robert ré-actualisé en février 2014
L’UNESCO vient de mettre en ligne un atlas de tous les idiomes en péril dans le monde. Il y en aurait 2500.
Mais, il en manque un: le champsaurisme.
Le champsaurisme, c’est ma langue maternelle ( ni langue d’oc, ni provençal alpin, ni pur français).
Le champsaurisme, ce sont les premiers mots bizarres que j’ai entendus à Prégentil quand, le soir, sous la lampe à manchon, on était tous réunis autour de mon père (qui « en savait de loin » puisqu’il était né en 1877), de ma mère, de mes trois frères, de mes trois soeurs, de la « parentée », des « drolles » des hameaux d’alentour…et que les bruyantes et joyeuses veillées (dans les années 1935, 1936, 1937…) allaient bon train.
Moi, le petit dernier, j’en avais plein les oreilles et je n’en ratais pas une miette.
… Le temps a passé et, hélas, je constate que ces premiers mots qui m’ont tant émerveillé ne dépasseront pas un siècle.
C’est pendant les réunions de famille, comme ici à Prégentil en 1935, que j’ai pu apprendre les plus beaux mots du champsaurisme.
Aussi, écoutez les! Ecoutez ce que disent les anciens, les « vieux-vieux », les « reires-grants » et vous entendrez , sous leur accent chantant, tous ces « mots-dits », un riche vocabulaire, des expressions oubliées et colorées, des termes imagés, de savoureux et jolis mots venus d’une langue lointaine et revivifiés, qui s’implantent naturellement, qui « gisclent » au milieu des conversations, des mots qui font peut-être sourire, mais qui rendent heureux, des mots tout simples qui n’ont aucun équivalent en français et que l’on ne peut souvent traduire que par des périphrases, des mots si particuliers qu’ils ont parfois permis à des « émigrés » champsaurins qui « languissaient » leur vallée de s’identifier comme « pays ».
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« On y a eu déjà souvent été à Gap pour ramener des affutiaux aux fourestières ».
Ecoutez aussi ces tournures bizarres où l’on abuse d’être et avoir: « A Gap, on y a eu assez été pour les foires », le rythme de ces phrases grandiloquentes où sont maniés avec dextérité les passés antérieurs: « Je les ai eu entendus dans le temps », où l’on n’hésite pas à à inverser avec brio les auxiliaires: « Il a pas resté là, il a puis parti avec la première qui se l’est aganté».
Ne sursautez pas quand les masculins sont employés au féminin, ou inversement : on dit parfois la lièvre, la platane, une ongle, une aigle, une incendie, un horloge, un cuiller, un paire de…
On en est encore quelquefois au septante et au noanante.
Et attention aux faux amis, à ces mots qui ont un autre sens en français : la caille n’est pas un petit oiseau, c’est la femelle du porc. Gouverner ne veut pas dire diriger, non, gouverner c’est s’occuper des bêtes. On va acheter une pointe à la mercerie et non à la quincaillerie. La dépense n’est pas la dilapidation de son argent, non, la dépense, c’est la cuisine. Camper n’est pas un mot réservé aux scouts et aux randonneurs, non, camper c’est larger les vaches, les mettre au pâturage.La rave, ce n’est pas un légume du jardin, non, la rave, c’est l’impôt demandé par les jeunes Champsaurins à « l’étranger » qui vient épouser une fille du pays.
Et que de richesses dans le langage champsaurin! A Paris, quand quelqu’un n’est pas normal, on dit: « Il n’est pas normal celui là! ». Ici, on ne dit pas seulement: « il n’es pas normal! » mais on a plus de cent mots pour définir son anormalité, depuis « barulot », « bayanèou », « bécassou », « brancassi », « broque », …jusqu’à « tèbi », « tirassaïre », « toti », « tabalori », « testori » …en passant par « calu », « caguenbraille », « émouli », « estrasse », « gounflaïre », « nioucent », « porte-lagne », « raclaïre », « vire-tomes », « troun de l’air », « tête de miaule », « sueille », « teluquet », « tross »,..etc…
Un dictionnaire du champsaurisme se trouve dans la deuxième partie du livre « L’encyclopédie du Champsaur » (éditions des Hautes Alpes), de la page 219 à la page 379. Voici la photocopie de la page 219.
On aime les expressions pittoresques comme « poser-brayes », « faire un vir », « avoir la rogne », « manger des regardelles », « monter à cagasson », « s’ajouquer à croupetons », « faire vergogne », « avoir sa lune », « se niasquer à la pétafouère », « déquiller le barri », « faire la lippe », « fréquenter une couratière », « crier sèbe », « rugner dans son coin », « aganter le lourdun », « s’affubler comme un espavant », « bouéder des mesurons », « nifler le tourton », « alpaguer la castapiane », « barontier avec les drolles », « demander la rave aux novis », « choper une rouste », « manquer de voïlle », « virer de caïre »…
On a des précisions plus riches qu’en langue française. Pour qualifier les couleurs, par exemple, le français a bien des mots comme: blanc, noir, vert, jaune… mais il n’a pas de qualificatif pour exprimer une combinaison de couleurs.
Si un Parisien rencontre un berger, il n’aura qu’une phrase pour lui dire: « Vos trois vaches, elles sont toutes blanc et noir ». Le berger local, plus subtil, lui répliquera: « Non, elles ne sont pas seulement blanc et noir. La première, elle est bardelle, car c’est le noir qui domine sur le blanc. La seconde, elle est jaille, car, là, c’est le blanc qui domine sur le noir. Quant à la troisième, elle est boucharde, car elle est comme salie en plusieurs endroits de tâches blanc et noir.
La richesse du vocabulaire est également démultipliée à l’intérieur même du Champsaur. Prenons par exemple ces feux de joie que l’on a allumés dans les différents villages, selon la tradition, le premier dimanche de carême.
On les appelle les « cargues » à Saint Jean Saint Nicolas, les « vieilles » à Orcières et à Champoléon, les « friselles » à Saint Léger, les « fraiselles » à Ancelle, les « soulestéous » à Saint Firmin, les « brandons » à Saint Bonnet…
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En reprenant les mots de cette langue intercalaire entendue à Prégentil, on peut écrire bien des histoires et reproduire, par exemple, ce que pouvaient avoir été l’enfance et l’adolescence à Saint Bonnet de François des Diguières. Ici la photocopie de la première page de la première partie du livre « Lesdiguières duc du Champsaur », en langue champsaurine, de la page 11 à la page 53.
On le constate, à l’intérieur même du Champsaur, les appellations, les prononciations, les orthographes peuvent varier d’une commune à l’autre. Il faut donc admettre que certains mots peuvent être différents suivant l’endroit où l’on se trouve, sans pour autant considérer que ces mots sont faux.
Ces vieux mots, ce parler local, cette langue dite bâtarde: (un semblant de français tronqué, fort épicé de racines occitanes, parfois mêlé d’argot) ont formé une langue intercalaire.
Les anciens peuvent confirmer qu’ils ont souvent entendu leurs pères, leurs mères et leurs grands parents ne parler entre eux que le provençal originel. Mais, pour s’adresser à leurs enfants qui, eux, étaient plongés dans un environnement totalement français – le patois était puni à l’école et les maîtres tiraient les oreilles des « bayanèous » qui « estropiaient » la langue officielle – ces mêmes parents ont du essayer , avec une attention touchante, de s’exprimer en français…ou, dans la difficulté, de franciser leur patois.
Comme le champsaurisme est une langue essentiellement parlée, donc non fixée par un dictionnaire, ( Paul Robert, l’auteur du grand dictionnaire, qui connaissait ces mots puisque ses parents étaient de Saint Bonnet en Champsaur, n’a malheureusement pas eu le temps de s’en occuper) on peut noter parfois quelques variantes d’un village à l’autre, néanmoins, presque toujours, la compréhension et le contact passent.
En les redécouvrant, on peut restituer les émotions, l’ambiance, l’environnement, les sons, la vision, l’affection d’une époque pas très lointaine, intercalaire, et relativement courte (celle du passage du patois au français)…mais qui risque d’être très vite oubliée.
Aujourd’hui, les jeunes Champsaurins connaissent surtout l’anglais, le russe, le chinois … mais qu’un brisou de champsaurisme quand ça leur escape.
Pour avoir une idée du vrai patois champsaurin (la langue locale en occitan-alpin) voir le « Manuel de philosophie champsaurine » . Cliquez ici .
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